le lion de Chanel

 


"Le duc de Guermantes, faisant front, monumental, muet, courroucé, pareil à Jupiter tonnant, resta immobile ainsi quelques secondes, les yeux flamboyant de colère et d’étonnement, ses cheveux crespelés semblant sortir d’un cratère."

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe, 1921.


Sans qu’on sache toujours très bien pourquoi, il y a toujours une effervescence lors d’une sortie d’un nouveau Chanel.  Enfin, soyons honnêtes, on sait un peu pourquoi, ce n’est jamais vraiment moche et quasiment toujours très élégant, ce qui devient assez rare de nos jour. (Même si on a beaucoup râlé -pas juste moi- lors du passage des exclusifs en eau de parfum. Passage purement gratuit puisque les jus n’y ont rien gagné, Ils y ont même perdu, ai-je envie de dire. Gratuit ? Oh, non, nous avons payés plus cher. Chanel makes money.) Le Lion de Chanel a donc fait l’évènement, a été attendu pour cause de report dû à une pandémie qui ne respecte décidément rien. Mais aujourd’hui, il est là, oriental, une première pour la maison puisqu’elle s’était arrêtée à mi-chemin pour (le merveilleux) Coco, dans l’habituel et très chic flacon des exclusifs.

 


Le Lion est bâti sur un contraste. Le départ est vif, très citron et bergamote, très lumineux. C’est un départ comme on les aime qui donne beaucoup d’envolée et de luminosité au parfum. Cette jolie lumière repose sur une base orientale sombre de labdanum, vanille et patchouli, très enveloppante, à peine poudrée mais franchement fumée et cuirée. C’est magnifique et imposant. L’Orient de Chanel n’est pas celui de l’odalisque de harem, c’est celui du conquérant ottoman. Le parfum est sec et sans langueur. Chez Chanel, on aime la raideur militaire et c’est tant mieux. (Pour faire le lien avec la vie de Gabrielle, c’est peut-être un souvenir de son époque « je chante sur la scène d’un café-concert d’une ville de garnison ? » Sinon, le lion, c’est le signe astrologique de la fondatrice.)


Ce final oriental qui dure des heures est vraiment beau. C’est assez jouissif de se perdre dans le cuir et dans cette fumée qui évoque tour à tour le tabac du cigare et l’encens de l’église. Dans un registre traditionnel, on dirait que c’est un masculin. Le pari d’un parfum « enveloppant et sensuel » qui ne tombe pas dans le cliché de la cocotte est réussi. Mais il y a un (petit? Gros?) souci avec ce joli félin… Dans la boutique Chanel, on est pris d’un doute immédiat : que fait ce Guerlain ici ?


Le Lion de Chanel n’est pas un hommage au Shalimar de Guerlain, c’est plus que cela. Un flanker, dirons-nous pour être aimables. C’est très à la vaporisation et la gène persiste jusqu’à la fin du jour. Certes, il n’y a pas les fleurs et la poudre vanillée du Guerlain. Le Chanel est plus élégant, le Guerlain plus flatteur dans un genre certes cocotte mais qui a beaucoup de charme et en donne à celui qui le porte. (Son sillage en rue donne envie de le suivre.) Olivier Polge a choisi de réintroduire des notes disparues de l’original ou clairement mises en veilleuse avec son tabac et son cuir. (Qui font aussi penser à l’autre centenaire mythique de 2021 : Habanita de Molinard.) Mais tout cela est problématique. La citation est un peu trop littérale. Avons-nous envie de pardonner à Chanel ?

 


J’ai envie de répondre oui. Parce que c’est magnifique et parce que j’aime cette projection de la garçonne des années folles dans le XXème siècle. Je ne vous cache pas que je prends beaucoup de plaisir à porter ce parfum. Et je suis ravi que la maison de la rue Cambon sorte de sa zone de confort et rompe avec l’abstraction florale aldéhydée et la soupe de muscs qu’on sentait un peu trop ces derniers temps. On pense aussi au Liu de Guerlain et on se dit qu’on pourrait faire preuve d’indulgence. Mais enfin, sortir ça en exclusif ? On pouvait attendre mieux. Les exclusifs, ce n’est pas supposé être la créativité et la qualité pour les amateurs aventureux et audacieux ? On se demande vraiment ou est l’audace dans ce jus inspiré d’un succès mainstream qui ne démérite pas depuis un siècle. Et j’imagine qu’être le parfumeur Chanel, c’est certes beaucoup de pression mais aussi un certain confort, alors désolé, Olivier, mais j’espère mieux de vous.


Le lion, Olivier Polge pour Chanel, 2020.


Commentaires

  1. Je l'ai attendu ce Lion!! Acheté à l'aveugle, et ... renvoyé aussitôt (heureusement qu'il y avait un échantillon pour l'essayer avant). Car non, je ne l'aime pas ce Lion. Certes, il y a une parenté évidente avec Shalimar, mais une parenté encore plus évidente avec Coromandel. Jusque là, ça me va, mais malheureusement la note qui ressort le plus sur ma peau est le labdanum. Et donc une forte odeur d'encens. Une overdose d'encens ... et ça, non, j'aime pas.
    Donc pas de coup de coeur pour moi

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    1. Le drama des achats à l'aveugle. (On ne devrait JAMAIS acheter à l'aveugle même si en ce moment, c'est un peu tout ce qu'il nous reste.) Sur moi, c'est fort peut encens et bien plus tabac. à la limite papier d'Arménie.

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  2. Merci Dominique pour cette revue je n’ai pas encore eu l’opportunité de sentir ce parfum mais j’ai hâte.
    Je vous donnerai mon avis.
    Bien cordialement 😘

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    1. Au moins, c'est un parfum qu'on aura plaisir à sentir. Même si pas sur soi. On le croisera volontiers en rue. (Où on le confondra peut-être avec l'autre, mais peu importe, on se dira quand même que ça sent bon.)

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  3. Personnellement je l attendais aussi avec impatience. Moi qui ne suis pas trop Chanel, celui ci avait tout pour me plaire. Sur le papier. Car en réalité, j ai été très déçu. Un départ tellement bergamote et zesté sur un fond très connu de Shalimar. Et puis, bof. Sans plus. Au point même qu’une heure plus tard je ne tenais plus rien sur moi. Quelle déception. Pas encore le jour où je porterai Chanel.

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    1. Je comprends la déception, ce n'est pas ce que nous espérions, nous espérions plus. Celà dit, c'est loin d'être moche et sans intérêt. Finalement, le manque de sortie et la pandémie rend peut-être service au parfum... Nous n'avons tellement rien à nous mettre sous la dent que nous accueillons n'importe quel sortie décence avec enthousiasme. (Je suis optimiste en accusant la pandémie... Je sais.)

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  4. Personnellement je l attendais aussi avec impatience. Moi qui ne suis pas trop Chanel, celui ci avait tout pour me plaire. Sur le papier. Car en réalité, j ai été très déçu. Un départ tellement bergamote et zesté sur un fond très connu de Shalimar. Et puis, bof. Sans plus. Au point même qu’une heure plus tard je ne tenais plus rien sur moi. Quelle déception. Pas encore le jour où je porterai Chanel.

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