petite bourgeoise

“Je suis au fond une petite bourgeoise très choquable, pleine de préjugés, vivant dans un trou, surtout très ignorante.”

Marcel Proust, à l’ombre des jeunes filles en fleurs, 1919.

Certains poussent les hauts cris dès qu’on touche à leur parfum, qu’on ose seulement insinuer qu’il n’est pas un pur chef-d’œuvre. Je ne me suis jamais vraiment senti concerné par ce genre de sentiment, étant tout prêt à admettre que je ne porte pas que des grandes œuvres, dans le fond, je  suis un petit bourgeois qui apprécie le travail bien fait et je préfère parfois l’artisan consciencieux qui connaît son métier et sa clientèle à l’artiste inspiré. Liu n’est pas une grande œuvre, admettons-le, c’est juste un beau parfum. Il suit la mode de son époque, sans lui apporter de réel supplément d’âme, marchant sur les traces du N°5 sans vraiment enrichir la gamme comme a pu le faire l’Arpège de Madame Lanvin, mais enfin, ses aldéhydes, ses fleurs, soyeusement poudrés et adouci par Guerlain ont beaucoup de charme et me plaisent dans leur genre conventionnel et sage.

Liu ayant été repesé, j’ai pu jouer au petit jeu de la comparaison et j’avoue ne pas être déçu par la version actuelle. Certes, l’ancien à une structure plus nette : l’aldéhyde y est plus éclatant, le jasmin plus présent et plus net, mais l’actuel, plus timide, reste fidèle à l’esprit et semble avec le temps s’être Guerliniser, prenant un peu de distance avec le modèle d’origine signé Ernest Baux. Ça lui va bien, le rend un peu moins garçonne et un peu plus bourgeoise chic. Il semble plus années ’50 qu’années ’20, du coup, mais conserve mieux que les autres sa belle patine, son aura rétro et chic. Si vous aimer la version actuelle, ce n'est pas vraiment la peine de vous mettre en chasse d'une version ancienne et si vous ne l'aimez pas, ce n'est pas vraiment la peine de chercher à connaître l'ancien, vous ne l'aimerez pas non plus.

Porter les deux versions est cependant un bonheur et j’ai envie de dire comme pour Mitsouko qu’il ne faudrait pas avoir à choisir, mais porter un jour l’un et un jour l’autre en fonction de ses envies et de ses humeurs. Mais quelle que soit la version, on est toujours en tailleur impeccablement coupé et manteau de vison avec mise en plis soigneusement laquée. C’est un genre, ça peut ennuyer, mais c’est mon truc, que voulez-vous ?

Liu, Jacques Guerlain, 1929.

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