cruel gardénia

 


" Quelle transformation de toutes choses dans cette immensité d’un champ de courses où on est surpris par tant d’ombres, de reflets, qu’on ne voit que là. Ce que les femmes peuvent y être jolies ! La première réunion surtout était ravissante, et il y avait des femmes d’une extrême élégance, dans une lumière humide, hollandaise … "

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, à l’ombre des jeunes filles en fleurs, 1919.


Cruel Gardénia part avec deux solides handicaps : son nom évocateur de soliflore pour femme fatale des années ’40 qui ne lui va pas du tout et l’impossibilité de le comprendre au premier snif. En boutique, il semble sans intérêt, et ce n’est pas beaucoup mieux en échantillon. Personnellement, je l’aime beaucoup mais je fus déçu après l’achat, me disant « mais pourquoi je me suis offert ce truc » avant de l’aimer de plus en plus au fur et à mesure que je le portais et de lui trouver de plus en plus de qualités. Dans ce monde de l’immédiateté ou il faut tout tout de suite, c’est un peu difficile pour cet opus de l’Art et la Matière de trouver son public.


Sans prétendre être un chef de file, une œuvre impérissable, Cruel Gardénia revisite un thème classique et le plonge dans une certaine modernité. Plus qu’un (ennuyeux) soliflore au gardénia (de plus), il nous plonge dans le bouquet de fleurs blanches, option bourgeoise et classique. C’est un descendant du Joy de Patou et du Lumière de Rochas. (Deux parfums que j’aime beaucoup.) La modernité est apportée par les muscs blancs qui dans ce parfum jouent un rôle de textrurisants en apportant au parfum un effet soyeux, assez éloigné des tonalité savonneuses et lessivielles auxquelles les muscs blancs nous ont habitués. (C’est bien plus joli !)


La première impression, classique, est celle d’un aldéhyde fruité discret et un peu banale. Le bouquet de fleur apparait, rosé avant de passer au blanc, mais en évitant les lourdeurs grasses des classiques. Merci les muscs. C’est transparent, aérien pour une élégance sans lourdeurs. La question « est-ce un gardénia ? » est pertinente mais la réponse pas évidente. Pour beaucoup, ce sera un franc non parce qu’il n’y retrouve pas l’odeur du gardénia et on restera sur le floral blanc, générique ou abstrait suivant que l’on aime ou pas. Pour moi, le gardénia est bien présent, plus ou moins selon les jours. C’est la facette « champignon » un peu terreuse que je retrouve dans le parfum, assez naturelle et réaliste, et non le gardénia de parfumerie, gras, lourd et voluptueux. Même le fond, musqué, qui se boise de santal crémeux reste dans une trame relativement moderne et transparente. Je dis relativement moderne parce que le parfum date de 2008 et qu’aujourd’hui, la modernité, ou plutôt la mode, serait les bois ambrés plutôt que les muscs blancs.



C’est joliment moderne, fin, élégant, très plaisant et plein de charme sophistiqué. Ce n’est pas le beau parfum en majesté devant lequel on s’incline avec déférence, non, c’est un parfum ravissant, charmeur et léger avec une note sombre, grave, légèrement présente, en arrière-plan, qui rôde et qui nous rappelle (cruellement) ? que tout n’est pas que légèreté et ravissement. 


Alors, un parfum pour quel public ? Il peut plaire aux amateurs de classiques qui n’ont pas envie de rester figer dans le passé, aux héritiers qui veulent porter les diamants de grand-mère mais les font remonter. Dans sa belle luminosité printanière, c’est un parfum facile à aimer, facile à porter, à condition de lui laisser le temps de révéler ses charmes, un parfum au sillage plaisant, jamais étouffant, toujours élégant et séduisant, plutôt flatteur. Il est suffisamment complexe que pour plaire à celles et ceux qui ne veulent qu’un seul parfum sans les lasser, suffisamment original que pour permettre de dire qu’on porte un parfum exclusif. Pour moi, l’une de ses grandes qualités est de s’adresser au public traditionnel de la maison et non à la nouvelle clientèle de nouveaux riches qui veulent que ça se sente que c’est riche (cette abominable pauvreté intérieure me déprime toujours un peu-beaucoup) ou au public extrême oriental qui veut que ça soit du parfum mais que ça ne sente pas, ou si peu. (L’évanescence est une qualité parfois très surfaite selon moi.) 



Cruel gardénia, Randa Hammami pour Guerlain, 2008.


NB : Je passe sur le changement de flacon de la collection. Je suis un peu sans opinion. Ce n’est pas très joli, sans être vilain et à tout prendre, je préfère celui-ci au précédent, mais à vrai dire… Je m’en fiche un peu. Même si l’augmentation de prix me désole. Mon seul avis sur le flacon est que le format est pratique à ranger dans mes tiroirs. J’eusse aimé finir sur une note poétique, mais c’est la bonne ménagère en moi qui l’a emporté. 



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