l'art de la mode et le Beau pour tous...

"Aussi ces femmes, méconnaissant ou dédaignant le pouvoir qu’a pris aujourd’hui la publicité, sont-elles élégantes pour la reine d’Espagne, mais, méconnues de la foule, parce que la première sait et que la seconde ignore qui elles sont."

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe, 1921.

Catherine Örmen, l’art de la mode
J’ai déjà évoqué l’Art de la Mode de  Catherine Örmen en vous menaçant d’y revenir quand je l’aurais entièrement lu et il est temps que je le fasse. L’ouvrage, le bel ouvrage, est une référence incontestable, bien documentée et magnifiquement illustrée. Mais je ne suis pas entièrement comblé non plus et c’est ce qui me dérange que je vais évoquer. (Cela dit, je trouve que c’est un livre indispensable pour l’amateur de mode et je valide à 100%, si je pinaille, c’est pour développer mon avis sur des détails, absolument pas pour dire que le livre n’est pas bon…)

La mode est envisagée à travers les témoignages conservés et bien sûr, cela concerne surtout les classes privilégiées, même si l’auteur nous parle aussi de costumes plus populaires. Il est vrai que le peuple s’habille plus qu’il ne suit la mode. Mais quand on arrive au XXème siècle, alors qu’on a de plus en plus de documents, photographiques notamment concernant l’habillement des classes populaires, l’attention se concentre sur la haute couture, sur la mode des élites. En soi, je trouve ça plutôt bien sauf que… (J’avais prévenu que j’allais pinailler !)

En fait, la haute couture depuis les années ’60 a de moins en moins à voir avec la mode. Elle tombe en désuétude, habillant de moins en moins de cliente et inspirant de moins en moins la rue. Elle sert de support au rêve qui fait vendre du parfum et de moins en moins à autre chose. On nous parle de laboratoire d’idée, mais quand on regarde la rue, les gens, les vrais gens, voit-on encore beaucoup de choses qui auraient trouvé naissance dans un atelier couture ? Je vois personnellement plus de jeans, des pantalons qui trouvent leur origine dans le vêtement de travail, le vêtement fonctionnel, utilitaire. Ces jeans dont Saint Laurent a dit qu’il regrettait de ne pas l’avoir inventé et qu’on voit d’ailleurs de plus en plus dans les maisons de luxe. Ils sont bien plus la mode, l’air du temps que la robe du soir des ateliers X ou Y que personne ne porte. (Sauf une greluche égérie l’Oréal à Cannes pendant le festival…) Et ça, on n’en parle pas du tout dans le livre. Pourtant les documents ne manquent pas…

Certes, c’est moins de l’art. Mais la mode n’est-elle qu’un art ? Existe-t-elle sans être portée ? C’est ce qui aurait pu me rendre les blogs mode sympathiques, le fait qu’ils soient plus « dans la vie, » Sauf qu’il n’y a généralement pas de recul et d’analyse sur les blogs mode. Juste la présentation de ce qui est « tendance » en ce moment. Oui, je sais bien que les gens qui s’intéressent à la mode cherchent parfois juste à s’habiller et pas forcément à penser. Mais pas que. (On remarquera que la presse papier si critique vis-à-vis des blogueuses et blogueurs ne fait généralement pas autre chose et souvent plus mal.)

Du coup, ça m’a amené à réfléchir au parfum. Et aux blogs parfum. Parfois, souvent, il y a un peu plus de réflexion et d’analyse par rapport à l’objet parfum. Des mises en perspective. (Je ne parle pas de moi qui suis sur un tout autre registre que je veux un peu plus émotionnel et poétique, peut-être à défaut de pouvoir produire autre chose.) Mais si la perspective historique est présente, elle reste parfumo-parfumée, ne verse pas, ou très rarement dans la sociologie. Si un sociologue me lit et qu’il a envie d’ouvrir un blog sociologique consacré au parfum, qu’il sache qu’il a déjà un lecteur! (Pareil s’il veut publier un livre… ) Et puis surtout, il me semble que les blogs parfum reste un peu trop volontiers cantonné à l’idée du parfum, non seulement luxueux, mais aussi en tant que création artistique pure, se passionne avant tout pour la niche et néglige le mainstream.

Je parle aussi bien de moi. Ce que je porte, ce dont je parle n’est absolument pas représentatif de ce qui est porté par la grande majorité des gens, pourtant, j’essaye quand même de coller au mainstream, à l’accessible, même si régulièrement Dior, je désespère, au lieu de Dior, j’adore. J’ai même parlé de cologne Mont Saint Michel. Sans me forcer. Juste parce que je suis curieux et que je trouve que tant que c’est bien fait, ça mérite qu’on en parle. (Bien qu’on doive aussi dire ce qui ne va pas.) J’essaye de rester conscient d’appartenir à une petite communauté et de m’intéresser aussi à ce qui se passe en dehors, à la "vraie vie des vrais gens." Parfois, les vrais gens me désespèrent à porter des choses vilaines. Mais c’est à moi, je crois, de faire des efforts, d’essayer de leur parler de ce qui pourrait les intéresser, de ce qui est à leur portée. (Et non du dernier Lutens à 750 boules, même si je parle plus en termes de proximité disponibilité, accessibilité, que vraiment prix.)

Bon, je sombre dans le politique, mais je crois vraiment au Beau pour tous. Alors, oui, il y a trop de sorties et trop de choses laides. Oui, l’industrie sucrière n’aide pas. Oui, le beau, c’est souvent, et sans raison autre que l’amour du pognon, trop cher. Mais le Beau pour tous, c’est possible maintenant, simplement, on oublie un peu trop cet objectif en se faisant plaisir à coup de rareté et en oubliant de parler des rayons du bas des grandes enseignes de vente. Enfin, souvent, on dit qu’il faut aller les voir, mais on ne cite pas beaucoup sur nos blogs les Scherrer et autres merveilles, préférant nous concentrer sur l’actualité ou sur ce qui nous fait rêver. C’est dommage. On pourrait. On devrait. 

Catherine Örmen, l’art de la mode, Citadelles et Mazenod, 2015.

Commentaires

  1. Bonjour Dau,

    Vous avez raison une analyse du parfum, et par extension du rapport aux odeurs, d'un point de vue sociologique, et historique, serait pertinente. J'ai récemment donné une conférence sur l'histoire des parfums où je me suis attardée dans le premier volet au caractère sacré du parfum, son usage dans les rituels notamment. Des gens, des hommes notamment, s'intéressant peu aux parfums, que ce soit à titre de produits de consommation ou comme création artistique, et accompagnant sans doute des amies, m'ont mentionné avoir apprécié la manière dont le sujet était traité.
    Pour pouvoir faire cependant un blog à l'approche socio-historique, cela risque d'être quelque peu difficile. Vous remarquerez les réactions épidermiques des gens lorsqu'on questionne les goûts, celui très actuel du glucose, mais plus largement l'image véhiculée, les référents culturels liés aux fragrances,etc. Il y a une identification très personnelle au parfum porté qui empêche souvent l'analyse du produit (et du rêve qu'il est sensé proposer). La fragrance se confondant avec la personne qui l'aime, questionner le choix de la première équivaut à "attaquer" l'identité de la deuxième, même si n'est absoluement pas le cas. La deuxième réaction est d'affirmer que tous les goûts se valent et qu'il suffit d'aimer pour rendre légitime la vente d'une daube, l'argument du goût personnel se veut un point final à toute discussion ou analyse un tant soit peu neutre et détachée. C'est assez dommage et le cas n'est peut-être au fond pas aussi désespéré que je le suppose.
    Je vais regarder si je ne trouve pas l'ouvrage référé de mon coté de l'Atlantique, vous avez éveillé ma curiosité.

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    1. Bonjour Hermeline,
      Je suis bien conscient de la difficulté. En même temps, les commentaire, ça se gère. Et puis franchement, je suis pas certain que les amateur de sucre se précipiterait sur ce genre de blog. Je ne me suis jamais gêné pour démolir certaine fragrance que je trouvais mauvaise, souvent sucrée et je n'ai quasiment jamais eu de réactions désagréables. Je crois que si on fait les choses honnêtement, avec intégrité, en assumant que c'est comme ça et qu'on parle en fonction de ses goûts à soi, il y a moyen de s'en sortir. Personnellement, sur MON blog à MOI (et c'est important de le préciser comme ça pour s'autoriser la subjectivité), je pose d'emblée que je me fiche de la mode et que j'aime le classique, donc les gens savent à quoi s'attendre et ne prennent pas les choses mal du coup. L'argument du goût personnel sert le blogueur. Si on veut faire une analyse objectif, je pense que le ton détaché peut aider. en plus, je pense qu'on sera d'accord tous les deux, le ton de la recherche scientifique (Parce que oui, histoire et sociologie,ce sont des sciences) est plutôt humble, on n'est généralement pas dans l'affirmation péremptoire. On se pose des questions, on émet des hypothèse qu'on tente de vérifier, d'expliquer, etc. Et ça permet de faire passer les choses...
      Enfin, je crois.

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