dernière rose

"Vous aviez une robe toute rouge, avec des souliers rouges ; vous étiez inouïe, vous aviez l’air d’une espèce de grande fleur de sang, d’un rubis en flammes…"

 Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, la prisonnière, 1923.

Il y a ceux pour lesquels le coup de foudre est immédiats et ceux que nous apprenons à aimer, petit à petit, un peu plus chaque jour. Ce soir ou jamais fait partie de la deuxième catégorie, il m’a fallu 15 ans pour l’apprivoiser. (Que je hais ce mot qui me fait à chaque fois pensé à cet abominable petit prince de Saint-Exupéry !) Ce n’est pas une mauvaise chose, les parfums que j’ai appris à aimer sont ceux que j’aime finalement le plus et le plus longtemps.

Un départ de poire. Pas vraiment le fruit, plutôt l’alcool, la liqueur, et ensuite, la rose classique, presque rétro, mais pas démodée; l’effet poire du départ, soutenu de graine d’ambrette lui donne une envolée assez moderne. Ce n’est pas l’abominable fleur des fleuristes, toute droite sur sa tige, sans épine, non, plutôt la rose de jardin. De jardin de curé même. La rose ancienne, celle qui fait des fleurs petites mais très parfumées.

Ce soir ou jamais n’est pas dans le portrait détaillé de la fleur, le gros plan fixe, un peu inquiétant et froid qu’en font certains qui semble "momifier" la fleur, non, vraiment pas, le parfum nous installe dans le jardin, peut-être le même jardin que celui de l’Heure Exquise. Nous sommes loin du carré d’iris, à côté du rosier. Et ce n’est peut-être pas la même heure. Les enfants sont partis, les invités aussi, madame est seule avec monsieur.

Mais attention, l’atmosphère ne reste pas jardinière, la rose d’Annick Goutal se déploie sur fond de poudre, pousse de profonds soupires de sensualité, se révèle veloutée comme un rideau d’opéra rouge. La sophistication est là, digne des grands soirs. Ce soir ou jamais est "comme un rubis en flammes..." Il y a une vraie splendeur dans ce parfum, dans cette rose, auquel ne rendrait pas justice la seule comparaison avec le jardin de curé.

Le fait qu’il soit le dernier parfum d’Annick Goutal le rend particulièrement touchant. C’est un parfum-témoin, un parfum-testament. Il reflète vraiment l’exigence de cette grande dame qu’était Annick Goutal. Il a une grâce, une tenue que n’auront plus les créations suivante qui prendront des directions plus "faciles" (le terme ne se veut pas péjoratif), moins hautaines. Terriblement romantique, nostalgique, cette rose est la dernière avant l’hiver.

Ce soir ou jamais, Isabelle Doyen pour Annick Goutal, 1999.

Commentaires

  1. Bonjour Dau,
    Je voudrais vous rendre hommage car grâce à vous, j'ai découvert un de mes parfums cultes. Moi qui n'affectionnais pas la rose, moi qui ne suis pas parfum "fleuri" j'ai eu un véritable coup de foudre. Je me suis dit "méfions-nous un peu" : lorsque je m'enflamme de cette manière, généralement, le soufflé a tendance à retomber très rapidement. Et bien non, la flamme est toujours là ! Rarement un parfum m'aura fait un tel effet. Cela est dû entre autre à ce départ de la poire, carrément addictif chez moi, pas du tout une poire "shampoing" ou tendre comme celle de "Petite chérie", mais bien celle de la Poire William. C'est pour moi le parfum de la féminité triomphante, de la femme qui n'a plus besoin de prouver quoi que ce soit, belle sans se caricaturer en jeunette ou en cougar, sûre d'elle qui affiche ce rouge passionnel qui appelle à l'amour...

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    1. Je suis très content, pour vous et pour ce beau parfum. Content que vous vous soyez trouvés. et j'avoue y avoir un peu pensé en le portant les premières fois et en écrivant le billet! ;-)

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