L’artisan parfumeur est l’une de ces marques avec les
quelles les vieux perfumistas on une relation un peu particulière puisqu’elle a
été l’une des premières marques de niche historique, à l’époque ou c’était
vraiment de la niche, une marque qui proposait des choses vraiment différentes
de ce qui se faisait ailleurs. On en entendait parler par le bouche-à-oreille,
quelques magazines spécialisés mais ça n’intéressait personne. J’ai porté Mure
et Musc dans les années ’80 à une époque ou Poison de Christian Dior et Kouros
d’Yves Saint Laurent imposaient leurs sillages, donnait le ton et étaient les
parfums qu’il fallait porter (bien évidemment que je les ai portés
aussi !) et ce parfum de l’Artisan, déjà un classique de la marque, était
différent et n’intéressait pas plus qu’un truc bon marché de supermarché dans
une époque qui adoraient les logos très épaulés. Mais mon grand amour chez eux
a été ce parfum auquel je reviens aujourd’hui, lancé pour le passage à l’an
2000 à qui la marque avait donné pour nom l’adresse de ses bureaux
parisiens : Passage d’Enfer.
J’y reviens cet automne parce que l’automne est pour moi une
saison qui se marie bien avec l’iris et, surtout au mois de novembre, avec
l’encens. Ce sont deux notes auxquelles le froid et la brume siéent
particulièrement bien dans mon esprit en soulignant l’élégance altière et la
mélancolie de ces senteurs. L’encens est une note difficile à faire passer,
surtout auprès des plus anciennes générations, elle peut cliver pour des
raisons culturelles propres à chacun. Autour de moi, il y a ceux qui détestent
parce que cela leur évoque immanquablement des funérailles, c’est donc associé
à la tristesse et ceux qui comme un de mes collègues trouvent cela merveilleux
parce que cela les replonge dans une enfance heureuse d’enfant de chœur.
L’Artisan maîtrisait à merveille l’art de faire passer des
matières difficiles en les rendant agréable, lisible, facile à porter. Cet
encens, c’est Olivia Giacobetti, qualifiée à l’époque de reine du minimalisme,
qui l’a travaillé et je dois dire que tout en étant lisible, il est
suffisamment abstrait que pour être avant tout un parfum très élégant et
propre, ce qui en fait l’encens le plus facile à porter quand d’autres sont plus
gothiques ou mélodramatiques. Je me rends compte qu’il colle très bien à son
époque avec son exécution taillée au cordeau, sans excès, très technique, un
peu froide comme dans ces romans de Poppy Z Brite ou les serial killers découpe
les gens sans en être particulièrement ému ou troublé. Cela concourt beaucoup à
son charme.
Le parfum commence par une brève note fraiche, peut-être un
peu amère, puis un lys apparait. Il semble que le parfum soit changeant d’une
personne à l’autre, sur moi, il est fort peu présent et reste en arrière-plan.
Plutôt qu’une exacte reproduction de la fleur blanche, capiteuse et entêtante,
c’est une idée de lys qui apporte au parfum une sensation soyeuse. L’encens qui
apparait est marié aux muscs blancs, très discret, qui donne à l’encens de
l’ampleur, une certaine fraicheur propre en évitant tout ce qui peut rendre
l’encens lourd et oppressant. C’est assez trompeur. On pense le parfum discret,
parce qu’il est aéré, il est assez présent. De même avec un peu d’anosmie aux
muscs, on pourrait aisément se méprendre, croire que c’est une eau de toilette
qui n’a pas de tenue alors qu’elle peut tenir des jours sur les vêtements.
Ce n’est pas, pour moi, une ambiance d’église, plutôt celle
d’une marquise quelque peu janséniste qui se rendrait à la cour en ayant sur
ses robes les traces de l’office auquel elle vient d’assister. La composition
est retenue, quelque peu austère, toute en intériorité. Passage d’enfer est
méditatif, serein mais sans mélancolie ou tristesse. S’il n’a rien d’un « parfum
de vieille » puisqu’après tout tout le monde ne peux pas être parfait, j’ai
du mal à l’envisager sur quelqu’un de très jeun, contrairement à un parfum de
vieille (?), parce qu’il a quelque chose d’un peu blasé, détaché. A l’opposé de
ce que son nom suggère, il semble avoir laissé les passions derrière lui et
posé sur le monde un regard désenchanté quoique bienveillant, comme s’il n’avait
retenu que la bienveillance de ses connotations religieuses et non l’intransigeance.
Je le porte comme on décorait son boudoir d’une vanité ; sans drama mais
avec la conscience que les plus gracieuses et légères des frivolités sont
toujours ponctuées d’un point final.
Passage d’enfer, Olivia Giacobetti pour l’Artisan Parfumeur,
1999.
NB: l'édition spéciale achetée qui illustre ce billet est c'elle d'un nouvel an asiatique passé soldée car démodée après un an mais plutôt qu'à l'année du lapin, je pense au lapin blanc d'Alice, chacun ses référence. La ligne pour le corps de l'Artisan est très agréable mais il s'agit bien de produits parfumants et non de réels soins.
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