L’obscurité s’étend sur le monde, nous plonge dans le froid
et l’effroi, nous glace le sang. Novembre, c’est l’entrée dans l’hiver, la
longue nuit qui s’installe en nous refusant la consolation et l’espoir de
printemps à venir. Peut-être plus tard, si nous survivons aux tempêtes. Pour ne
pas abandonner tout espoir avant d’entrer dans la saison infernale, il faut un
peu vivre dans le déni et se faire de petits plaisirs parce que nous ne sommes
pas ici pour souffrir.
Le perfumista en moi a été absolument ravi, absurdement
enchanté, de troquer son flacon du très beau Mitsouko contre celui de l’Heure
Bleue que j’avais un peu délaissé.
Trois semainess sans porter l’Heure Bleue,
chez moi, c’est du désamour, la passion qui s’étiole, le naufrage de couple en
mode drama queen assumé. L’heure bleue,
son départ aromatique, ses fleurs épicées, sa gourmandise amandée dans un nuage
de poudre d’iris et son fond d’orient crépusculaire et baumé, c’est le parfum
réconfortant par excellence qui déploie autour de nous le beau souvenir des
jours heureux. Très Belle Époque dans ses ornements complexes, j’oublie parfois
que tous ne le trouve pas si facile à porter tellement je m’y sens bien, chez
moi.
En organisant ma rotation parfums, il y en a deux que je
n’ai pas remisés parce que j’ai eu beaucoup de plaisir à les porter, mais le
plaisir n’est pas épuisé et je veux explorer un peu plus. Le Patchouli de
Réminiscence, un peu cacaoté (mais pas trop étant donné ma très faible
tolérance à cette note) sombre et exotique, adouci de notes ambrée, réchauffé
d’une pointe de liqueur et par excellence le patchouli hippie, celui qui
autorise les accumulations de breloques colorées… (Ou pas. Moi, c’est non.)
Et puis Femme de Rochas que je retrouve avec une joie
frénétique cette année. Merveille d’équilibre sophistiqué dans sa version
actuelle qui équilibre le chypre à la perfection, joyeux et fruité, joliment
floral, sans insister trop sur l’épice, le cumin en particulier, pour un
résultat tout en contraste, sombre et lumineux, très habillé et indécent de
nudité, parfaitement soudé, fondu, très chic madame.
J’apprécie
particulièrement son abstraction très artificielle et donc très humaine qui ne
renvoie à rien d’autre qu’à sa propre beauté. Femme est narcissique ?
Égocentrique ? Peut-être. Disons que contrairement au hippie de
Réminiscence qui découvre le monde, le Rochas sait comment faire tourner le
monde autour de son petit doigt et ne s’en prive pas. Et vous savez quoi ?
Le monde tourne plus rond et ne s’en porte pas plus mal.
Novembre, c’est traditionnellement pour moi, le mois de
l’encens. Sont-ce ses brouillards en volutes qui me donnent des élans
mystiques ? Possible. Mon préféré est signé Oriza L. Legrand, c’est
Relique d’Amour, mais je vous avoue que cette année, je laisse son évocation de
crypte dans mon placard, le monde a suffisamment de deuil à porter sans que je
lui ajoute une couche de mélancolie, aussi romantique soit-elle. À la place, je
choisis le Rêve d’Ossian de la même maison, un encens plus chaud, lumineux qui
évoque la célébration, la joie. C’est
tout aussi intime, plus petite église en bois que majestueuse cathédrale de
pierre. J’avoue aussi que l’évocation de la sieste au coin du feu qu’il
contient aussi par moment n’est pas pour déplaire à l’insomniaque en moi.
Même maison, autre ambiance : le papier d’Arménie de
l’Empire des Indes va aussi faire partie de mes indispensables. J’adore le
benjoin et c’est celui-là mon préféré sans que je puisse totalement expliquer
pourquoi. Probablement parce qu’il est un peu liquoreux mais que la note de
fumée bleutée reste bien nette dans ce parfum à la belle lumière dorée. (Le
bois d’Arménie de Guerlain que j’ai longtemps aimé tire vers la vanille, ce qui
me plaisait, mais nettement moins. Alimentaire, mon cher Watson.)
Mais pour rester dans l’encens, je ne dois pas oublier
Grimoire d’Anatole Lebreton, un encens plus froid, plus humide, un peu à la
façon de Relique d’Amour mais en plus paysager avec ses notes aromatiques qui
évoquent le jardin de simples, froid et humide, plus sale, plus sombre aussi.
Il ne laisse pas oublier que le moine que sous la robe, il y a un homme et non
un saint.
Sombre Dioressence l’est assurément. Et Sec. C’est un
mélange de fleurs et d’épices, pas si barbare que le prétendait la pub, mais
ambigu et anguleux, il ne rechigne pas à la confrontation frontale balançant
après une note verte et aldéhydée l’œillet, la cannelle et le patchouli avec
une hauteur de grand d’Espagne mis en cube par Pablo Picasso. Pour certains,
c’est un chypre, pour d’autres un oriental. Moi, je le laisserais volontiers
hors des cases en regrettant qu’il soit si oublié aujourd’hui.
S’il y en a bien un qui ne veux pas rester dans une case,
c’est Opium. Certes la version actuelle est un peu plus bourgeoise (ce qui
n’est à mes yeux pas un défaut rédhibitoire) mais même, déborde, explose, se
revendique trop. Et j’ai plusieurs versions anciennes en réserve. Opium, ce
n’est pas le parfum que je porte le plus souvent et le plus facilement. C’est
plus une drogue que je vais respirer au flacon, un oriental pas si oriental,
mais tellement beau.
Le départ aldéhydé, mandarine scintille jusqu’à
l’éblouissement, alors que le chœur de lys et d’œillet fait tourner les têtes.
Le fond ambré animalisé, très patchouli n’est pas ce qui me séduit le plus
pourtant, c’est assez magnifique de voir à quel point il est juste, évitant la
lourdeur des parfums anciens, mais rendant quand même une impression de
richesse baroque, très ornée, cependant.
Plus facile à porter en 1977 que le fond d’un véritable oriental des
années ’20. Et aujourd’hui ? Il est démodé. Par sa richesse, justement,
capiteuse, insolente et totalement non politiquement correcte. Avec Rive
Gauche, il partage l’art d’en faire trop. Il rit trop fort, se maquille trop,
porte des décolletés trop plongeants et semble toujours n’exister que pour
lui-même. Opium est un parfum immense qui mérite une place de choix au rayon
des classiques mais ça ne suffit pas à expliquer l’addiction qui m’oblige à le
posséder et à venir régulièrement le sniffer au goulot, surtout en novembre-décembre,
alors même que je ne le porte jamais vraiment. Je peux dire qu’il porte bien
son nom.
Créé par les équipes de Chanel, Diva d’Emmanuel Ungaro est l’un
des nombreux d’Opium, au même titre que son contemporain Coco, un parfum énorme
et imposant qui déborde de sa famille pour créer un univers baroque et
surchargé. Un départ aldéhydé mandarine, très élégant, un massif floral
rose-tubéreuse jasmin avec beaucoup d’œillet en guise de cœur, c’est monumental
et bourgeois sur un fond chypré qui tire vers l’Orient avec une animalité qu’on
osait encore en ce temps-là. C’est un parfum d’avant les nineties et leur déni
du corps et du sexe jugés non souhaitable en public. Diva est certes loin de la
provocation et de l’incitation à la débauche, mais il n’oublie pas que ses
rodes aux motifs colorés se retirent. Les bijoux ? Ah, mais, non, eux, on
peut les garder. Toujours sur son 31, je l’imagine difficilement à la salle de
sport, au bureau ou faire la file le matin pour acheter des croissant. Quoique, en petite robe noire, avec beaucoup
de perles et des lunettes de soleil… c’est jouable. Décalé mais jouable.
Plus moderne, la rose patchouli de Rouge Velours dans le
vestiaire Yves Saint Laurent qui est bien jolie. Une rose rouge sombre et
épicée sur un patchouli qui vient en renfort musqué plutôt chic. C’est très
transparent, lumineux, vivant, comme un rouge de vitrail dans lequel joue la
lumière, rien de gothique, de sombre dans ce velours assez facile à porter,
parce que, parfois, c’est plus simple d’être dans l’époque. Vous me direz que l’époque
n’est pas rose, raison de plus pour porter des roses au cœur de l’hiver.
Retour aux années ‘80 en Vanderbilt, mon parfum cocon, c’est
tout le romantisme de la décennie qu’il incarne, soigneusement épaulé, dans des
teintes pastelles. Avec ses dentelles synthétiques, obstinément rétro, il lorgne
ouvertement vers l’Heure Bleue-Après l’Ondée. Ses aldéhydes sont très aimables,
l’accord floral fleur d’oranger-tubéreuse très doux et le fond d’orient musqué crée
une petite bulle de réconfort féminin à l’ancienne avec le nuage de poudre de
rigueur. Un peu cheap, il conserve soigneusement dans un journal intime ses
grands élans sentimentaux et n’a jamais perdu de vue que l’héroïne dans
recherche Susan désespérément, c’était Rosanna Arquette et non Madonna. A l’époque,
il faisait parfum de maman, aujourd’hui, il fait parfum de grand-mère , voire d’arrière-grand-mère, du genre qu’on voit dans les dramas : pauvre, qui s’est sacrifiée
pour bien élever ses descendant et leur offrir ce qu’elle pouvait leur donner
de mieux. Un peu gênante à présenter à la belle-famille riche et chic du héro
alors qu’elle vaut tellement mieux qu’eux. C’est un cliché absolu, mais les
fans du genre s’en fichent royalement et en redemandent.
Entendons-nous bien : je ne me refuse pas à en porter d’autres, simplement, ceux-ci sont ramenés sur le devant de la scène (traduction: ma coiffeuse) et feront ma rotation de base, pas très neuve, pas très jeune, mais je ne suis pas tombé de la dernière pluie non plus…
(Notez qu’il y aura aussi de la violette. Oui, ceci est du divulgâchisme d’un billet à venir.)
Et vous, cet hiver, que porterez-vous ?
Avec tout cette humidité qui me rappelle au bon souvenir mes douleurs arthrosique et autres, j'ai du mal à passer aux fragrances que je mets l'hiver donc pour l'instant je suis Gabrielle et Libre de YSL. Sur ma coiffeuse il a y a toujours en hiver mon bon vieux patchouli de reminiscence. Parfois je sors mon bon vieux angel et les souvenirs de ma jeunesse remontent, mes santiags et blouson aviateur, mon vieux sac socco, CD céline dion album D'eux en boucle dans la voiture (ah soupirs). J'ai toujours dans un coin du salon l'hiver un flacon de sezane à la fleurs d'oranger, un peu comme un doudou quand j'ai trop mal ou trop froid. Sinon je suis allée sentir OPIUM mais j'ai du mal car j'ai des anciens flacons vide en collection mais je sens encore son parfum sur le bouchon et c'est pas pareil du tout que les anciennes versions en 1980. Un parfum que je trouve trop fort au début puis après quand il s'estompe j'adore son odeur qui agit sur moi comme un calmant c'est aromatic elixir mais ancienne version.
RépondreSupprimerOpium est fort beau actuellement, il faut juste faire son deuil des versions anciennes qui ne sont plus règlementairement possible. Opium devient un autre parfum et on peut alors l'aimer.
SupprimerJ'ai oubliée cette année il y aura aussi de la violette mais en poudre toute douce de chez guerlain avec un voile de météorites. J'adore vos articles et photos comme toujours. Quel merveilleux billet. bon week-end.
RépondreSupprimerCet hiver pour moi ce sera principalement "Cologne à la Russie" de l'Institut Très Bien (Lyon). Cette maison a fermé (sniff). Pourquoi n'est-ce pas une de ces marques qui se fiche du monde qui disparaît et pas une maison qui produit de jolies choses?
RépondreSupprimerA la Russe pardon...
RépondreSupprimerLa beauté ne se vend pas rès bien au XXIème siècle. J'aimerais trouver une autre explication, mais celle-ci explique tant de chose. Cologne à la russe, c'est un parfum qui demande trop de temps pour notre époque: il faut lui prêter attention pour se rendre compte qu'il est très construit et évolutif, et cel prend du temps de lui laisser vivre sa vie sur la peau... Et il semble qu'il soit de bon ton de se presser aujourd'hui. (Alors qu'on n'a jamais autant entendu parler de slow?)
SupprimerBonjour Dau,
RépondreSupprimerJoli billet et joli vestiaire olfactif d’hiver ! Je connais tous les parfums que tu cites, sauf « Velours Rouge » d’YSL (à mettre sur ma liste au Père Noël ?) et ta sélection me rappelle de jolis souvenirs… J’ai follement adoré et beaucoup porté Dioressence dans les années 80, à l’époque où il était encore proposé en EDP, avec une diffusion prodigieuse. Et comme hélas je ne suis pas très « eau de toilette », j’hésite à y retourner par peur de ne pas retrouver mes anciennes sensations (j’ai déjà été assez traumatisée comme ça par la disparition de « Vol de Nuit » en version intense, en son temps le plus beau parfum du monde, et dont l’actuelle version falote en EDT ne ressemble pas à grand-chose. Crime et sacrilège ! ). En revanche tu me donnes furieusement envie de renouer avec « Diva », que j’avais oublié (il y a tant et tant de parfums !) et qui effectivement est une jolie pépite de la parfumerie vintage (PS : je suis sans doute encore plus vintage que toi par l’âge !)
Quant à mon propre vestiaire olfactif d’hiver, il ne diffère pas forcément beaucoup de celui d’été, car je suis assez iconoclaste pour porter Shalimar au mois d’août et « Muguet Fleuri » à Noël (pour ce dernier j’ai des circonstances atténuantes, été née un 2 mai je lui accorde un droit d’asile permanent. Le muguet est ma fleur à moâ, et pour une fois qu’il n’est pas décliné en mode synthétique façon désodorisant, je profite. Merci Oriza !). Néanmoins, c’est vrai, il y a des parfums que je porte plus volontiers en automne-hiver, car plus capiteux ou plus réconfortants. En gros les voici (la liste n’est pas exhaustive mais la zone « commentaires » n’est pas extensible non plus !). D'ailleurs je dois créer un second message...
Donc disais-je les voici:
RépondreSupprimer- « Parfum Sacré » : c’est l’amour de ma vie, ce parfum-là ! Celui que j’emporterais sur une île déserte si je ne pouvais en emporter qu’un. Merci à la maison Caron de l’avoir sauvegardé de toute reformulation assassine. Son seul défaut est d’être hors de prix (il fut jadis distribué dans les linéaires de Séphora à prix mainstream, mais depuis qu’il est passé « à la niche », il flambe !!!)
- « Majestic Jardin » d’Alexandre J : une symphonie d’orange amère, de poivre noir, patchouli, cèdre et vanille. Et quelle diffusion, quel sillage, quelle tenue ! C’est « mon précieux » n°2 juste derrière Parfum Sacré (mais pas très loin !).
- « Shalimar », qui me suit depuis longtemps mais que je suis en train de remplacer progressivement par « Empire des Indes », son jumeau monozygote de chez Oriza, qui est « le même en mieux » dans la mesure où je lui trouve une meilleure tenue (mais c’est peut-être juste une question de pH).
- « Le Régent » d’Oriza, un déferlement de baumes qui donne envie de se rouler dedans…
- « 402 » de Bon Parfumeur (une fragrance poudrée à la rondeur chaleureuse, de l’amande, du toffee et de la vanille, sur un lit crémeux de santal, musc et benjoin, une vraie doudoune),
- « Paris-Minuit » de Burdin, un chypré floral épicé (Poivre rose et Patchouli associé à de la mandarine, de la fleur d’oranger et du gardénia, résultat féminissime. Plutôt pour le soir… quoique je peux craquer à toute heure!
- « Coco » de Chanel, qui fait partie de ces « j’y reviens toujours », on dira ce qu’on voudra, il est beau !
- « Marions-nous » d’Oriza, un parfum pour toute saison mais que je porte beaucoup en ce moment, comme un antidote à la morosité. C’est clair, il est ravissant et réconfortant!
- « Les larmes du Tigre » de Serena Galini, une fragrance orientalisante à base d’ambre, de cire d’abeille et de benjoin.
- « Vanille » et « Patchouli 1864 » d’Honoré Payan, des parfums d’excellente facture à petits prix (comparés aux autres !)
Ce sont tous des parfums que je porte soit en ville soit à la maison, mais il y a aussi ceux que je porte exclusivement à la maison, pour mes heures méditatives et introspectives ( !): les encens (Rêve d’Ossian d’Oriza, « La Lithurgie des Heures » de Jovoy, « Cardinal » de Heeley). En été je médite plutôt avec des lavandes, des parfums d’herbes coupées… Surtout pas avec des agrumes, trop énergisants pour favoriser la concentration !
Je te souhaite une bonne journée parfumée, amitiés de Baladine
Oh, j'ai encore un grand flacon doré de Parfum Sacré que j'économise religieusement...
SupprimerPour Shalimar, je l'aime beaucoup et presqu'exclusivement en été, je n'aime pas vraiment le porter en d'autres saisons. D'ailleurs, je n'aime pas vraiment le porter, il fait partie de ceux que j'aime sentir sur d'autre. Son sillage est tellement magnifique!
Sinon, vivement janvier, pour peu qu'il gèle je me roulerai dans les verts et les aldéhydes. Des parfums comme le N°19 ne sont jamais aussi beau que par moins 10.
Comme vous, je m'adonne en Opium. (C'était un jeu de mots avec madone à l'époque ?)
RépondreSupprimer-fabien-
Pas de jeu de mots à l'époque puisque c'était à la troisième personne, juste la célébration de l'addiction à Saint Laurent. Mais qu'est-ce que c'était bien!
SupprimerTrès joli billet, vraiment !
RépondreSupprimerAu printemps je me disais que Femme était parfait en cette saison, en été je me suis surprise à le mettre le soir, en automne il est sublime... Bref, Femme c'est tout le temps !
J'ai ressorti Cèdre de Lutens, Chamade (comme Femme, il est magnifique en toute saison ou occasions ), L'eau scandaleuse de Lebreton et l'eau des Immortels de Voyages imaginaires
Voilà, il n'y a pas de saison pour Femme. En été, il y a les fleur, eu automne les fruits... Bref, comme tous les parfums complexes, il se prête à plusieurs interprétations et à plusieurs saisons.
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