« Bientôt, les deux motifs luttèrent ensemble dans un corps à corps ou parfois l’un disparaissait entièrement, où ensuite on n’apercevait plus qu’un morceau de l’autre. »
Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, la prisonnière, 1923.
Les relances de maisons oubliées ont été une rage, le patrimoine et l’aspect historique faisant (bien) vendre. Tout n’est pas forcément intéressant, certain revisitant un peu trop l’histoire s’attribuant des triomphes passés là où il n’y avait parfois eu que des succès modestes et nous vendant comme des rééditions des choses qui sonnaient furieusement moderne dans leur notes de fruits… Oriza L. Legrand fait tout bien, sans tapage. De jolies formules et une sensation ancienne réussie. Certes, les matières ont changés, l’extraction ne se fait plus de la même façon, les législations ont changé et nous ne nous parfumons plus de la même façon, nous nous lavons plus, etc. Mais l’impression est bel et bien là, rehaussée par le charme des flacons sobres à l’étiquette délicieusement rétro. Si la réédition n’est pas fidèle en tous points, elle est parfaitement réussie.
Si mon choix s’est porté sur les Violettes du Czar, ce n’est pas tant parce qu’il était le parfum de Nicolas II, le beau barbu belle époque qui continue de séduire les filles et les garçons sensibles, bien plus que toutes les hordes de hipsters du XXIème siècle, mais bien parce que selon la Baronne Staffe, véritable Notre-Dame-des-bonnes-manières du XIXème siècle ; la violette et l’iris sont les seules odeurs acceptables pour les jeunes filles et jeunes dames respectables. Opinion qui collait à la mode de l’époque, une mode ? Une rage même, rendue possible par les progrès de la chimie et de la synthèse. Violettes du Czar, un accord de violettes, quelque chose d’ancien, mais qui continue de se faire puisque la violette a connu une seconde vogue à notre époque avec l’iInsolence de Guerlain et bien d’autres. Ce qui rend ce vestige un peu plus actuel peut-être ?
Violettes du Czar joue sur le mélange de la fleur et du cuir. Ça pourrait être nichu et moderne comme idée sauf qu’on est très loin de l’accord binaire et du basique niche de la jolie matière joliment sertie. Le parfum d’Oriza L. Legrand est bien plus complexe et plus riche qu’un simple soliflore moderne, c’est une succession d’ambiance, une évolution constante qui le rend assez fascinant et l’éloigne de la vulgaire question habituelle : violette poudrée ou violette bonbon ?
Le départ est sec et médicinal, on reconnaît à peine la violette dans une ambiance boutique d’apothicaire, et lorsqu’elle devient plus reconnaissable, c’est surtout le cuir qui se fait remarquer, pas un de ces cuir moderne de sac à main chic, le cuir-bouleau, goudronneux, sombre et fumé. Un cuir assez sale, qui peux déranger et qui sent un peu la bête. La violette semble perdue, disparue avant de combattre la bête tel Saint Georges le dragon, mais il n’est pas impossible non plus qu’elle lui fasse l’amour, il est toujours un peu compliqué de savoir. Elle n’abat pas le dragon, elle le dompte, le maîtrise, l’enchaîne dans un coin du tableau. Et enfin, elle peut se faire légèrement cosmétique, un peu crémeuse, poudrée…
Le parfum surprend et désarçonne tant il est changeant, évolutif et différent, même moi qui ai connu les parfums d’avant l’époque du monolithe et de l’odeur unique et linéaire. Contrairement à la plupart des parfums actuels, son atout, son charme, ce ne sont pas ses notes de têtes trop étranges que pour séduire au premier abord. Violettes du Czar demande de la patience, réclame un peu de temps et notre attention. Lorsque je le porte, je l’oublie parfois mais il se rappelle à moi, parce que je perçois une bouffée de parfum et parce que je dois me demander si c’est bien moi, tant il est différent de ce qu’il était un peu plus tôt. Là pourrait être son plus grand charme, mais je goûte tout autant le plaisir d’une violette singulière, ni poudre, ni bonbon, quoiqu’elle tienne aussi un peu des deux, qui explore des facettes inconnues, qui révèle des paysages nouveaux alors même qu’on est en terrain connu. En le portant, je me suis dit que notre époque qui avait terriblement restreint les propositions était bien triste. Deux variantes alors qu’il pourrait y en avoir tellement plus ? Mais pourquoi ? Pour coller au goût du public ? Mais comment le public pourrait-il avoir du goût si on ne lui propose pas de choix ?
Violettes du Czar, 1862, reconstitué en 2014 par Hugo Lambert pour Oriza L. Legrand.
Bonjour Dau !
RépondreSupprimerViolettes du Czar sera mon cadeau d'anniversaire. C'est ma fille qui l'a décidé. Je me suis offert le petit set d'échantillons des parfums d'Oriza Legrand. Lorsque le paquet est arrivé, je n'ai même pas eu le temps de le déballer, ma fille s'étant jetée dessus, tant elle était intriguée par l'élégante et fine boîte couleur celadon, entourée d'un énorme ruban bleu. Car il faut ajouter qu'Oriza Legrand soigne le packaging de ses produits. Les bouteilles de ses parfums et leurs boîtes à l'ancienne sont tout simplement magnifiques. Voilà donc ma fille qui essaye les échantillons les uns après les autres, comme une jeune fille de 12 ans, c'est à dire de manière tout à fait incontrôlée et anarchique. Et là, elle me dit : "Maman, celui-là, il est pour toi, il est trop bien, et c'est tout ce que tu aimes ! On va te l'offrir avec Papa (ça veut dire que c'est mon mari qui va l'acheter sur ordre de ma fille)". Elle me le fait sentir, me montre l'échantillon : Violettes du Czar.
Bon, je ne vous fais pas grâce de ma fierté maternelle devant ma fille qui n'a pas choisi le parfum le plus évident et le plus facile, surtout pour une demoiselle de 12 ans, et surtout qui connaît aussi bien les goûts de sa mère : Violettes et cuir.
Car le moins que l'on puisse dire, c'est que les premiers instants sont loin d'être évidents. J'ai même été un peu désarçonnée. Mais après ! J'ai trouvé mon duo gagnant. Même mon cher et tendre (barbu comme Nicolas II) a succombé. Je pense que c'est le cuir, comme vous le dites si bien, bestial et goudronneux, j'allais dire sentant la sueur de casaque, culbutant cette violette qui est tout sauf mièvre qui a eu raison de moi. Et si en plus il fait l'unanimité de mes amours...
J'ajouterai que j'ai complètement craqué aussi pour l'oeillet royal de la même maison. J'en ai eu les larmes aux yeux, j'ai cru retrouver un flacon vintage de l'air du temps. Et pour C'est le printemps, qui sent le gazon que l'on vient de tondre. Par contre j'ai moins adhéré à Relique d'amour dont on m'avait pourtant vanter les charmes.
Bref, vivement le mois de septembre...
Bonjour,
SupprimerAh oui, je suis épaté, il n'est pas si évident ce parfum! Comme quoi, on ne doit pas désespérer des jeunes générations, pour peu qu'on les protège un peu de la pub et du marketing, elles savent avoir le goût sûr! En tous cas, voila une mère qui peut être fière!
Pareil pour moi: le départ est loin d'être évident! J'ai fini par l'aimer, beaucoup, parce qu'il fait aussi l'intérêt et la richesse du parfum. Pour le cuir et la violette, je n'ai pas encore déterminé à quoi ils jouent tous les deux. ça dépend des jour pour moi et des moments pour eux. Je suis plus violette que cuir, mais ici, je ne départage pas mon plaisir, c'est vraiment l'association des deux qui fait que c'est réussi. Ce n'est pas la première fois que je sens ce genre de mélange, mais c'est la première fois que je suis aussi séduit. Il faut dire que la sécheresse d'exécution des versions plus modernes ne me plait guère même si c'est parfois très bien fait.
L'Oeillet, j'ai plus craqué pour la savonnette Œillet Louis XV mais c'est mon côté vieille dame ça! Pas acheté (encore) pour cause de budget, etc et aussi parce que j'ai déjà une petite réserve d'air du temps vintage, l'infusion de Prada et le dianthus d'Etro... ça fait beaucoup d'oeillet et ce n'est peut-être pas la peine d'en rajouter tout de suite. Vivement le printemps, j'ai failli succomber aussi, mais je dois faire de nouveaux essais pour savoir si... Relique d'Amour, j'ai bien aimé sans être convaincu sur la durée. Le parfum n'évolue pas très joliment, je trouve. Je pense que je pourrais apprécier de temps en temps mais que je m'en lasserais vite. Bref, un échantillon me suffirait. Dans la même marque, je suis assez dubitatif à propos de Chypre Mousse qui m'attire beaucoup mais... Le mais vient peut-être du fait que c'est plus un parfum d'automne avec ses odeur de sous-bois humide. (Et vu le temps en juin, sous-bois humide, ça ne me fait PAS DU TOUT rêver pour le moment!)
Bref, plein de choses à essayer et à découvrir, ça va être bien!