réflexion N°5

 


Entre lui et moi, il y a une longue relation, compliquée et pleine de contentieux. Nous nous sommes éperdument aimés, trahis, quittés et retrouvé. Certaines ruptures ont été presque définitive mais les vieux amants sont bien difficiles à séparer. Récemment, j’ai reporté le N°5 que je boudais depuis un certain temps, avec plaisir. Le motif de la bouderie est fort simple : une fois de plus, il m’avait trahi.

Je ris lorsque je vois passé sur les réseaux sociaux des gens qui paradent en °5 et pensent porter un classique, presqu’un vintage, une création de années ’20. A vrai dire, si le N°5 est une création de années ’20 c’est parce que les actuelles versions datent bien des années 20, les années 2020. Le discours de la marque est ambigu, pour ne pas dire encore plus à crever de mauvaise foi que je ne le suis et pourtant je peux l’être beaucoup, assumant sans l’assumer que le parfum évolue. Nous savons que c’est inévitable, à cause des règlementations, de l’approvisionnement des matières premières voire des modes et nous nous ferions une raison si c’était franchement ou à demi-mots admis. A vrai dire, je trouve même la stratégie de Chanel qui revoit régulièrement son parfum par petites touches, tous les deux ans disent les initiés, plutôt intelligente et réussie puisqu’elle permet de maintenir le classique dans l’air du temps. (Ça et pas QUE les campagnes publicitaires même sublime avec Catherine Deneuve ou… Non, en fait, maintenant, c’est un peu nul les campagnes publicitaires.)

Là ou les choses ne vont plus c’est quand le classique ne ressemble plus au classique, que le grand aldéhydé floral se transforme en floral musqué de muscs blancs en oubliant les aldéhydes (et les notes animales qui rendait le parfum si propre délicieusement sale.) J’en arrive à ne plus reconnaître le N°5, regrettant les effets de laque, de vernis à ongle, la synthèse triomphante de la chimie moderne érigée en nouvelle alchimie. Les reformulations récentes ont été catastrophique. L’extrait sent un merveilleux jasmin, mais un jasmin quoi ! (Encore un peu indolique Dieu merci !) L’eau de parfum est un monument de propreté musquée et l’eu de toilette manquait terriblement de fond. C’était la version la plus fidèle, mais terriblement indigente comme si le dernier krach boursier l’avait définitivement ruinée.

Quand je l’ai connu, le N°5 était un parfum bourgeois et autoritaire doté d’un fichu caractère. Aujourd’hui, il est certes encore autoritaire mais uniquement parce qu’il annonce son statut social avec des logos noirs sur blanc alors que sa la richesse était jadis une accumulation de dorures baroques ; avouez qu’il y a de quoi être déçu. Certes, il est toujours solaire mais je lui reproche d’être un peu trop élégant. De n’être plus que cela, vidé de toute autre substance, d’avoir perdu son âme (et son fichu caractère.) En soi, ce n’est pas mal d’être élégant. C’est chouette le chic. Mais on s’ennuie quand même un peu avec cet uniforme désincarné. (J’avoue, afficher un statut social, ce n’est pas très intéressant à mes yeux, c’est même un signe de pauvreté intérieure.)




Mais si je fais mon deuil de ce qui fut, je peux porter le N°5 avec plaisir. Sans illusions. Sans être dupe. Il y a un côté facile à le porter, à ne pas chercher à être incarné, à s’abriter derrière une façade élégante et vaguement anonyme. Porter le N°5, c’est faire partie d’une tribu, superficielle, sans vraies individualités, se fondre dans la masse des happy few, s’oublier et sentir bon. Parce qu’il plaît toujours ce N°5 à ceux qui ne le (re)connaissent pas et ne font pas l’association « vieille bourgeoise » probablement parce qu’il sent le propre et sous son air un peu guindé rappelle beaucoup de chose : laques, crèmes de luxes, savonnettes bon marchées… Il a tellement été copié qu’il finirait presque par ressembler à la copie de ses copies dans une mise en abîme qui aurait enchanté Andy Warhol. (Question : est-ce que je ne le porte pas un peu parce qu’ille me rappelle le gel douche lait du Petit Marseillais ? Réponse : pas qu’un peu ! à vrai dire je ne vois pas d’autre raison de choisir certains jour la version eau de parfum.)

Reste un Rubicon que je ne suis pas prêt à franchir avec l’épineuse question des flankers. Objectivement, j’ai beaucoup aimé l’Eau Première à sa sortie. Je trouvais ça très réussi, moderne, jeune mais totalement dans l’esprit alors que justement l’eau de parfum était un peu sans intérêt. (Elle reprenait le flacon de l’extrait, certes, mais à part ça ?) Et puis la marque s’et mise à faire comme Guerlain avec son Shalimar : une marque dans la marque, des déclinaisons qui n’ont plus grand-chose à voir avec la version originale. Parfois c’est un joli parfum, la version cheveux, parfois c’est…  Je ne sais pas trop comment qualifier l’eau qui est juste un truc parfumé plaisant à porter quand on n’ose pas se parfumer et qu’on n’a pas le cran de sortir peau nue selon moi. Je ne juge pas. Pourquoi pas après tout ? Mais s’imaginer qu’on est en N°5 ? (Excusez-moi, je pars rire un coup et puis je reviens.)

En vrai, quand je veux sentir 1920, je porte Liu de Guerlain. Alors, oui, c’est plus Guerlain donc plus rond, plus cocotte, ça fait du charme au lieu de s’imposer, mais du point de vue des aldéhydes, pour l’instant, c’est beaucoup plus juste. Cela dit, est-ce que je n’ai quand même pas besoin de N°5 ? On a toujours besoin d’aldéhydes. Paradoxalement, alors que ça sent(ait) la bourgeoise et donc une certaine forme d’oisiveté, c’est devenu le parfum parfait pour aller travailler. Je vous avais bien dit qu’il avait perdu sa fortune dans un krach, non ? Et est-ce que vous avez besoin du N°5 dans vos placards ?

N°5, Ernest et puis plein d’autres qui l’ont retravaillé après pour Chanel. Pour l’année, regardez la date de la facture de votre flacon.


NB: je l'ai reporté parce que l'été lui va rudement bien, mais vivement l'hiver que je puisse vous refaire le même billet avec le beaucoup plus merveilleux, avis personnel mais je persiste, N°19.

Commentaires

  1. Oui, le 19!
    Dans les masculins "Pour Monsieur" a été massacré depuis longtemps alors que c'était une merveille.
    Je ne comprends pas la logique de garder une référence si c'est pour qu'elle ne ressemble plus à rien. Est-ce que la Reine d'Angleterre s'est présentée en public en tongs et t-shirt à partir de ses 60 ans?

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    1. Pour Monsieur, je l'ai beaucoup aimé dans ma jeunesse et effectivement, je ne le reconnaissais plus. (Je n'ai pas senti les versions récentes.) Pareil avec Anteus que j'ai un peu porté et qui est devenu si différent. Mais lui, il paraît qu'il varie beaucoup d'une production à l'autre maintenant... Bref, je ne comprends pas plus les masculins et j'ai complètement renoncé.

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  2. Coucou,
    Fan du n°5 parce qu'il trônait comme une diva dans la salle de bain de ma grand mère (1924) et n'avait presque jamais bougé de sa place. Flacon splash, elle n'en mettait que rarement car elle trouvait que ça "cocottait" trop et moi, jeune ado mal dans ma peau à l'époque, c'était tout ce que j'aimais justement, ces cocottes, ces fabuleuses en foulard Hermès, avec des chapeaux pour aller jouer au bridge entre copines les après midi à Grenoble, obligé d'attendre près des vestiaires que ces belles dames finissent....ma foi....prenez votre temps ! J'humais à loisir leur manteau de fourrure d'où s'échappait ce N°5, ce Shalimar ou même, Calèche.

    Mais ce que j'aimais et que j'aime avant tout dans ce N°5 c'est évidemment le départ laque, synthétique, solvant, le départ qui brille et qui scintille, le départ lumineux aldéhydé qui faisait absolument tout son charme dès qu'on dévissait le flacon. Oui, snob que je suis, j'ai réussi à emporter avec moi ce flacon que ma grand-mère avait laissé vieillir sur sa coiffeuse car pour elle, tout se patine mon chéri, tout se patine et elle adorait ça.

    Naïvement, j'ai voulu à mon tour m'offrir la l gende il y a de ça qqs années: erreur fatale. Rien ne ressemblait ni l'extrait, ni l'eau de parfum, et encore moins l'eau de toilette, le parfum n'était plus "gras" il ne brillait plus..alors il sentait bon si si, mais ce n'était pas ce à quoi je m'attendais. Alors j'ai arrêté de leur filer du fric, et de temps en temps, je déroule le papier de soie, j'enlève le manchon en plastique et je met qqs gouttes de ce très très très vieux N°5 dans les cheveux, car là je suis sûr qu'il tiendra au moins 24h et qu'il sera fidèle, car cet amant là, il ne me décevra JAMAIS.

    -fabien-

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    1. Ah Ah Ah mais quel choc. Je ris (jaune) et ne suis pas du tout surpris. Bien sûr qu'il est méconnaissable quand on s'attend naïvement à retrouver une vieille version et c'est bien amer. Il faut véritablement pour l'aimer faire son deuil et penser que c'est tout autre chose comme parfum. J'avoue que ça m'embête de leur donner mes sous... D'ailleurs, ils en reçoivent fort peu. Mais à qui donner nos économies est de plus en plus compliqué. Au moins, certains sont honnêtes et admettent que leurs parfums ont changés. C'est déjà ça, même si c'est regrettable.

      Sinon, oui, pour moi aussi le N°5 était tout départ, merveilleusement synthétique et artificiel, laque et vernis, c'est tellement merveilleux ces odeurs. (Et moderne! plus que ce qu'on sent aujourd'hui dans le 5.)

      Après, on nous dira que nous devons vivre avec notre temps mais non merci, vraiment, je passe mon tour.

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    2. Hahahahahha mais totalement d'accord, et tel notre amant préféré, on en gardera un bon souvenir, lui seul savait nous exciter.

      -fabien-

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    3. Ramasser les souvenirs et les regrets à la pelle ne nous fais même pas peur.. D'ailleurs l'automne arrive, ça tombe bien!

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