eternity

"Qu’il me laissât rester avec elle toute l’éternité qui ne serait pas trop longue pour nous deux."

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe, 1922.

eternity, Calvin Klein, portrait de Christy Turlington par Herb Ritts

C’est le parfum qui pour moi symbolise les années ’90.  Je vois venir les objections : il est né en 1988, il n’est pas outrageusement marin et l’Eau d’Issey serait un bien meilleur choix, etc. Mais il se trouve que j’ai porté Eternity, que je l’ai aimé, tout au long des années ’90. Contrairement à la plupart des sorties de l’époque que je haïssais. Dans les années ’90 aurions-nous survécu sans la niche et Serge Lutens ? Honnêtement, je ne crois pas. Même si avec le recul, notre sentiment que la niche allait sauver le monde nous parait bien ridicule.

En vérité, Eternity porte en lui toute les valeurs de l’époque à venir, il semble avoir été créer pour ceux qui allaient croire au Nouvel Age, à l’Ère du Verseau. Le parfum, son flacon et la campagne de pub étaient épurés et romantiques C’était un sacré changement pour Calvin Klein qui n’était connu en Europe que pour Obsession et des campagnes de publicité sulfureuses pour slips blancs et jeans moulants C’était méconnaître ses collections luxueuses et minimalistes. Et l eminimalisme allait de façon un peu ennuyeuse traverser les années '90, refusant le grunge et le porno chic. Notez qu'encore aujourd'hui, je me demande qui peut resister à une campagne mettant en scène Christy Turlington sur la plage avec un amoureux beau gosse, le tout shooté par Herb Ritts. Qui? (L'homage à from here to eternity/tant qu'il y aura des hommes était net.)

Eternity est signé Sophia Grojsman. Le bouquet s’inspire du romantisme de l’Air du Temps mais est bien signé de celle qui créa Paris pour Yves Saint Laurent. Quelques agrumes, un peu mandarine, une jolie note de frésia avant le grand floral romantique que le nom laisse présager : des roses fraîches et transparentes, une trace de muguet, une touche de violettes et un peu d’œillet. Le tout baigné d’Iso E Super sur un fond boisé discrètement ambré.  Oublié la laque et la poudre, l’époque sera à la propreté musquée et transparente. Le plus remarquable, dans Eternity, c’est sa présence. Il fait partie de ces parfums très présents qui sont pourtant transparents et jamais étouffants. Le principal reproche que je pourrais lui faire, c’est d’être politiquement correct et un peu adoucissant pour la lessive. (La poudre à lessiver étant une mode qui allaitvenir avec plus ou moins de bonheur suivant le degré de névrose de l'hygiéniste maniaque qui serait aux commandes pour les parfums à venir.) 

En le portant, on se sent sentimental et romantique, éthéré, pas très sexué. Quand on le sent porté, on est séduit par son élégance en dépit de son aspect un peu synthétique de parfum office friendly. Si en 1988, il évoquait la jeune femme, une Anaïs-Anaïs qui aurait enfin grandit, je dois bien dire qu’il à un peu vieillit. Plus de 30 années après son lancement, il n’est pourtant pas si mal à redécouvrir. Le personnage qui l'habite a peut-être gagné en maturité, mais n’a pas perdu en charme. (Et quand nous devenons matures, nous avons besoin de tout le charme possible, n’est-ce pas ?) Est-ce un charme rétro ou un charme intemporel ? À vous de décider.

(Personellement, je l'adore, mais je suis très faible face au travail de Sophia Grojsman.) 

Eternity, Sophia Grojsman pour Calvin Klein, 1988.