humeurs automnales

“comme ces arbres dont l’automne, en variant leurs couleurs, semble changer l’essence. »

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, le temps retrouvé, 1927.

L’automne me donne chaque années de furieuse envies d’orient. Enfin, pas tout à fait, je vais plus du côté des semi-orientaux et des chypres plus que des vrais orientaux, j’aime le patchouli à la folie et je porte finalement assez peu, j’ai plutôt l’envie irrépressible de saisir le flacon et de respirer les merveilles au goulot dans un reflexe qui n’est pas sans rappeler celui du drogué en manque. Yves Saint Laurent ne s’était pas trompé en appelant son oriental Opium…

youth dew, Estée Lauder

À tout seigneur, tout honneur, je commencerai dans l’ordre chronologique par Youth Dew, le terrible de Lauder. Très daté années ’50, Youth Dew lance une première salve avec les aldéhydes, poursuit l’attaque avec les fleurs et nous achèves avec les baumes et le patchouli dans une overdose qui semble une glorification sans vergogne de la société de consommation. Pour évoquer ce que le parfum m’inspire, je suis obligé de faire appel à votre mémoire : vous vous souvenez de Maisy Gibbons dans Desperate Housewives ? Elle était cette bourgeoise qui règne sur la vie sociale de tout le quartier d’une main de fer au grand dam de Bree Van de Kamp et qui fait vivre sa famille en se prostituant. Youth Dew est peut-être bourgeois et conservateur mais il est aussi volupté sexuelle. Le seul problème, c’est sa présence. Comme beaucoup des parfums dont je vais parler dans ce billet il est TRES présent et tenace. Tout l’appartement sent, tout ce que je touche sent. Pour des jours. (NB : à posséder en version ancienne, sinon, préféré l’huile pour le bain et le corps qui vaut un bel extrait et se montre plus fidèle.)

opium, Yves Saint Laurent

Opium est un descendant direct de Youth Dew. Les aldéhydes sont remplacés par des agrumes, l’effet est plus provocant et moins bourgeois avec le déferlement épicé de l’œillet et de la cannelle. L’effet est addictif. Dans les versions anciennes, moins lissées, je suis vraiment en dépendance. Peu m’importe de le porter ou non, il m’en faut un flacon. (Ou mieux plusieurs !) Je collectionne des versions d’extraits et d’eau de toilettes qui vont de 1978 au début des années 2000 avec hystérie. Je ne peux pas m’en empêcher, mais c’est de septembre à décembre que je suis le plus atteint par le manque. Méconnaissable, j’aime encore sentir la version actuelle en rue, mais pour le coup, on se retrouve avec un parfum, terriblement bourgeois, arrondi, lissé, potelé et un peu bobonne Du genre à porter un tailleur en laine bouclette rouge.

cinnabar, Estée Lauder

Estée Lauder a réagi en lançant Cinnabar. Cinnabar, c’est le concurrent d’Opium, mais il faut le dire assez vite, qui reprend de Youth Dew les notes de baumes et d’épices uniquement. C’est un joli oriental qui donne un peu l’impression de feuilleter les pages consacrées au Maroc dans un catalogue Thomas Cook. C’est joli, exotique, ça fait rêver, mais c’est un peu sans risque.


aromatics elixir, Clinique, Paloma Picasso, eau du soir, Sisley

Aromatics Elixir de Clinique, le chypre rose patchouli avec son départ camomille est bien plus intéressant. Fortement inspiré par le Youth Dew de la maison mère, il développe un charme cossu et classique passablement original avec ses notes très seventies chic. Le fond est très Lauder, c’est surtout le départ aromatique qui me plait, mais le fond un peu moisi n’est pas pour me déplaire. Je suis assez sensible aux notes sales quand elles sont un peu cachées sous la fourrure. Paloma Picasso semble s’en être inspiré pour un chypre plus classique, plus lisse, qui rappelle également le N°5 de Chanel. C’est assurément chic, grande dame. La note florale y est particulièrement réussie, transparente et élégante. Il fait partie des parfums classiques mais originaux à redécouvrir… Plus récent, l’Eau du Soir de Sisley modernisait le genre en l’épurant et en lui donnant une belle tonalité verte amère. Si Aromatics Elixir et Paloma Picasso sont autoritaire, l’Eau du soir passe facilement pour tyrannique faute d’enrobage. C’est ce qui arrive quand on tombe le vison pour ne garder que les bottes de cuir…

patchouli, Réminiscence

Pur patchouli que le patchouli de Réminiscence, c’est par excellence le parfum pas net des années ’70, celui qui fait plisser le nez et dire « je n’aime pas le patchouli, c’est vulgaire ! » Vulgaire ? Oui parce qu’il sent fort et qu’il exprime et les notes chocolatée et les notes poussiéreuses et moisies de la matière. Il a l’indécence de jouer avec les odeurs corporelle plutôt que de les masquer sous des effluves savonneux. On aime, on adore, mais avec lui le message est peut-être un peu trop direct. Et puis il évoque à ceux qui les ont connues de manière un peu trop flagrante les années hippies qui l’on vu naître. Il faut être plus jeune pour apprécier à sa juste valeur sa liberté bohème. Quel dommage que la nouvelle version semble l’avoir considérablement dilué…

bois d'Arménie, Guerlain

Petit dernier coup de cœur d’automne que j’aime de plus en plus lorsque je le porte : le Bois d’Arménie de Guerlain. C’est l’odeur (d’intérieur plus que vrai parfum) du papier d’Arménie au benjoin sublimée de poudre, bois et vanille, chaleureuse et enveloppante. Moins gourmands que d’autres Guerlain de cette époque, il colle parfaitement à l’esthétique enveloppante de la maison, mais avec un côté plus intemporel dans sa modernité. (Traduisons le blogueur : il n’est pas alimentaire comme beaucoup de parfum de la ligne Art et Matière qui ont un peu vite résumé Guerlain à « une grosse vanille. »)  Ce n’est pas forcément celui sur lequel j’aurais misé mais plus je le porte et plus j’apprécie ce plaid de luxe pour soirée frisquette. C’est reposant, un peu régressif, mais à l’occasion, ça fait du bien.


Commentaires

  1. Tous, absolument tous les parfums que tu cites, je les ai portés, aimés, adorés, puis détestés pour certains, lassée, voire écoeurée, par d'autres. Tous m'ont marqués, laissés leur empreinte. Mais pour moi, une fois le charme rompu, il n'y a plus de retour en arrière. Je ne les porterai plus, je préfère laisser les souvenirs là où ils sont.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. JE peux comprendre. Pour moi, le charme n'est jamais vraiment rompu et j'ai le goût de la nostalgie. Je "reviens" régulièrement. Même si ce n'est pas pour porter.

      Supprimer
    2. Tiens ? Voila que je me retrouve tout à fait dans ce qu'écrit dame Astrid ! Idem, j'ai adoré certains parfums, mais une fois que je suis passée à un autre, impossible d'y revenir, ils évoquent tellement un temps dans ma vie, que je ne veux pas le revivre...

      Supprimer
  2. Bonjour.
    A part le paloma picasso qui n'est pas dans ma collection, je possède tout les autres parfums dont tu parles et je les aime a la folie !
    Ils sont vraiment merveilleux et m'apportent beaucoup d'émotions. Je suis un inconditionnel de ces vieilleries.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Hello,
      Tu sais donc que tu peux aller humer le parfum de Paloma Picasso, il devrait te plaire!

      Supprimer
  3. Je connaissais une personne dont je pensais qu'elle ne devait pas chauffer sa maison ni l'aérer suffisamment, car tout ce qu'elle avait sentait le moisi ! Jusqu'à ce que j'apprenne que c'était l'odeur du patchouli !
    C'est vrai qu'elle aimait ce genre de parfum ! Le dernier que je lui ai connu était La Perla. Et j'avoue qu'il n'y avait qu'elle pour porter ça ! C'était vraiment sa signature !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. ça dépend vraiment du traitement, mais oui, c'est très cave, moisi et poussière. Et ça peut-être merveilleux ou caricatural. C'est selon...

      Supprimer

Enregistrer un commentaire