« Elle trouvait tout naturel qu’il ne vint pas nous voir l’été sans avoir à la main un panier de pêches ou de framboises de son jardin… »
Marcel
Proust, à la recherche du temps perdu, du côté de chez Swann, 1913.
On pourrait
croire que mon snobisme naturel me pousse forcément à bouder l’alimentaire et
les fruits en parfumerie, c’est une terrible odeur. Certes, je boude les coulis
écœurants et l’usine de bonbon Haribo, mais j’adore les fruits lorsqu’ils sont
plus « naturels » (Je mets les guillemets parce que je parle bien
entendu du rendu, pas de la provenance des molécules…), et je ne parle pas de
la fraîcheur des agrumes. Pour faire un petit best of d’été, parce que je
trouve que la saison se prête bien à ce genre de chose, vous voilà prévenu (je
trouve ça plus intéressant que des favoris mensuels), il me semblait évident de
commencer par les chypres fruitées.
On se bat
souvent pour savoir lequel est le plus réussi des deux grands classiques
historiques ; Mitsouko ou Femme ? Je suis d’avis qu’on ne doit pas
choisir et qu’on peut parfaitement les aimer et les porter tous les deux. À la
subtilité du Guerlain, je préfère probablement Femme qui est bien plus direct.
Certes, il y a des aldéhydes et des fleurs pour donner une touche d’élégance et
habiller le parfum, mais c’est à l’image de la guêpière que garderait une
strip-teaseuse, un accessoire qui fait ressortir la nudité, une mise en valeur
du chypre qui évoque la chair échaudée par le désir, accentuée par
la métaphore de la peau de pêche et de la prune juteuse. Certes, le parfum peut
évoquer l’été à travers une corbeille de fruits murs, mais… Je ne peux pas m’empêcher
de trouver que c’est un parfum pour public averti, habitué à des codes autres
que les codes actuels. Pas parce qu’on ne voit pas immédiatement la beauté du
parfum de Rochas, mais parce qu’on véhicule quelque chose qui pourrait bien
nous dépasser.
Mitsouko
file la même métaphore, de façon plus cryptée. Le japonisme du nom m’évoque
toujours lorsque je sens le Guerlain le chignon en pêche fendue des geishas. La
coïncidence est peut-être fortuite mais tombe bien. Si Mitsouko sent la peau
nue, il la pare de bijou, dissimule son érotisme derrière les odeurs de
sous-bois et celle du cake à l’orange. Plus habillé, le parfum n’en est pas
pour autant plus facile à porter : sa sophistication déconcerte, son
autorité intimide. C’est un chypre et il n’y a rien à faire, c’est quand même
la catégorie par excellence des parfums de « ceux et celles qui aiment
rester aux commandes. » (Sans préjuger de leurs motivation.)
Y est aussi
un parfum intimidant. Le premier parfum d’Yves Saint Laurent est parfaitement
coupé. Le décolleté n’est pas trop plongeant, la pêche est relativement
discrète, les fleurs sont en sourdine. Le vert est très présent, hautain, le
fond est chypré, boisé, raide. Y est un parfum magnifiquement assemblé et ce en
plein âge d’or d’une certaine grande parfumerie française. Cette perfection
qu’il possède le dessert un peu : on peut presque lui reprocher de ne pas
avoir d’âme. Il est pure élégance et on ne se blotti pas contre la pure
élégance, on l’admire plus qu’on ne l’aime. J’avoue pourtant que c’est un
parfum que je porte assez facilement. Peut-être n’ai-je pas d’âme ? En
tous cas, je le trouve très « reposant » dans une époque que je
trouve quelques peu excessive, parfois, et passablement vulgaire, souvent. Y
peut presque faire office de talisman, de « noli me tangere »
lorsqu’on doit affronter les foules.
Les années
’70 on fait prendre un tournant à la parfumerie, en la rajeunissant un peu…
Moins de raideur, moins de lourdeur, de richesse bourgeoise, plus de fraîcheur.
Le succès de l’eau sauvage n’y est pas pour rien, mais c’est très injuste de
faire de Diorella une Eau Sauvage au féminin pour les femmes qui portaient Eau
Sauvage. Si le masculin chyprait la cologne pour la faire tenir longtemps, le
féminin allège plutôt le chypre fruité traditionnel. Diorella est un vrai
parfum même si les agrumes et aromates sont bien présents au départ. Les fleurs
du cœur sont là, surtout le jasmin à mon nez, ainsi que le fond de chypre, le
tout très nettement fruité. Un peu de pêche, mais surtout un melon bien mur,
presque trop, qui donne rondeur et joie au parfum. Il était vendu comme le
parfum du jeans. Ok. Mais les jeans sont très bien coupés et portés avec de
très jolis chemisiers alors. Pas avec un T-shirt informe et une vieille paire
de basket éculées. Edmond Roudnitska a renouvelé joliment le genre chypre en
lui gardant la sophistication mais en le débarrassant des complications.
J’aime, j’adore, je porte beaucoup et toujours avec bonheur.
Cristalle
de Chanel joue sur le même registre mais le raidit et le durcit. Le chypre est
froid, tranchant comme un bloc de glace aux arrêtes aigües et les notes de
melon peinent à arrondir la jacinthe transie par les agrumes. Élégant et hautain,
Cristalle n’a pas d’état d’âme et ne fait preuve d’aucune pitié. C’est pour ça
qu’on l’aime d’ailleurs. Mais je trouve plus confortable les notes un peu plus
maternelle de Diorella. Il est vrai que j’ai pris un peu de poids, cela
explique peut-être que j’apprécie que mon parfum soit lui aussi un peu plus
potelé…
Je n’aurais
pas pensé m’enticher d’un parfum récent dans la catégorie chypre fruité, mais le
Ella d’Arquiste m’a conquis à sa sortie. Certes, il n’est pas si fruité… Les
notes un peu pêche-prune ne sont présente qu’au départ mais il rend si bien
hommage aux anciens que je le range quand même dans la catégorie. Il rend
clairement hommage aux parfums des années ’70 avec son départ vert et fruité
mais n’hésite pas à remonter jusqu’à femme en se faisant sombrement crapuleux
sous ses airs de danseuse disco. (I love to love you, baby.) En parfumerie, le
mélange du végétal et de la sueur humaine fonctionne souvent bien. Nous sommes
bien d’accord que tout cela n’est dû qu’à la magie de la stylisation ?
Bonjour Dau,
RépondreSupprimerla chaleur estivale est par moments insupportable, tellement forte que l'on croirait étouffer. Absolument fan alors de Femme que je portais toute petite (11 -12 ans!). Mitsouko, non je ne vois pas. Je pense mieux par exemple à l'Heure Bleue et son odeur d'encaustique. Y, Cristalle ou encore Diorella je les aime à la folie mais avec cette chaleur sèche ce sont des senteurs qui se morfondent en attendant l'automne. Ici ce serait plutôt le jasmin tout-puissant ou la tubéreuse et la fleur d'oranger dévergondées, c'est le moment où jamais de sortir Coco, Poison ( le classique, avec sa bouteille violette presque noire), et Alien (eau de parfum), Lust (Lush), Loulou (Cacharel). Les Colognes peut-être de bon matin mais c'est sûr et certain qu'elles vont tout bonnement disparaître en cours de journée (ou virer à je ne sais quoi, ce qui est pire).
A très bientôt!
Sara
Bonjour Sara,
SupprimerLes chyprés fruités se prettent assez mal à la chaleur, je trouve aussi. De façon général, le structure chypre classique me semble trop délicate pour les hautes températures qui déstabilisent le parfum... Alors, il y a les "eaux" et les chypres plus modernes qui passent mieux. Quoiqu'à mon goût, même Diorella semble un peu écoeurant par forte chaleur quand la note melon se fait trop présente.
Femme à 12 ans, quelle (belle) inconscience!
à bientôt
Dau
J'ai longtemps porté "Femme" de Rochas, à m’enivrer jusqu'au délire, hélas 1989 le voila revisité, réinventer avec des matières synthétiques moins chères, et s'en fut fini de mes amours...
RépondreSupprimerEn visitant la boutique d'un antiquaire je trouve un atomiseur de parfum, d'origine. En humant le bouchon, le parfum me fut restituer d’emblée ! Oui, c'était bien lui....
Oui, il a beaucoup changer. Cee n'est pas tellement une histoire de synthétique moins cher, il a surtout été modernisé. Mais, pareil, je préfère l'original! (Je ne sais pas trop ce que vaut l'actuel, mais je doute sérieusement qu'il vaille le coup!)
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