Mitsouko option bas bleu

"Mme Verdurin sous une apparence froide, cache des trésors de sensibilité."

Proust, à la recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe, 1922.


Pour beaucoup de gens, un parfum, on le découvre, on le connait, on l’aime et puis on n’en parle plus. Pour les perfumistas, c’est un peu plus compliqué et on passe des heures à pinailler et discuter d’infimes variations, selon les millésimes et les concentrations. Croyez-moi, sur le blog, même si je donne parfois l’impression de radoter, je vous épargne beaucoup des discussions qui se passent en coulisses où nous coupons joyeusement le poil de civette en quatre. Merci l’IFRA !  Mais Mitsouko. Comment ne pas parler de Mitsouko, chef-d’œuvre du chypre cette année centenaire ? Comment ne pas évoquer ses variations ? Entendons-nous bien : je ne vais pas vous dire que cette version est la version définitive, le Mitsouko d’origine, le Mitsouko comme il est supposé sentir. Je crois que nous pensons à Mitsouko à la façon d’un parfum idéal qui s’est recomposé dans notre tête, qu’il n’y a pas de version idéale existante. (Impossible de savoir ce que Jacques Guerlain voulait, de savoir s’il l’a obtenu, si les différentes productions qu’il a supervisées étaient toutes identiques, etc…)

J’ai goûté la dernière mouture de l’extrait et je la trouve bien jolie. Passablement différente de ce à quoi m’avait habituée l’eau de parfum de 2013-2014 mais belle et peut-être plus chypre. Fondamentalement, je trouve le chypre raide et antipathique au premier abord. C’est une famille de parfums complexes, qui joue sur le contraste, ne se laisse pas appréhender facilement, marque la distance avant de se révéler dans des dimensions plus plaisantes. L’extrait Mitsouko démarre sur une très belle bergamote qui est loin de l’agrume gentillet, plus proche des versions non traitées qui râpent un peu les naseaux dans mon souvenir. Ça crisse, ça agresse, ça grince. C’est extrêmement lumineux, mais le genre de lumière qui fait mal aux yeux. Oui, c’est un peu dur. La suite est plus familière, l’arrondi de la pêche, le cœur floral, poudré-velouté, un peu plus présent et le fond de sous-bois sensuel qui enveloppe et réconforte. Pour le coup, je délaisse un peu l’option tasse de lapsang et plaid pour sortir Mitsouko. L’éclat de cet extrait va bien avec la vie sociale. 

Le contraste est ici bien marqué et demande un peu d’efforts pour accéder au parfum, le comprendre, percevoir sa dimension plus charnelle derrière la raideur. On comprend mieux en sentant cette version la réputation de parfums intellectuels qu’ont les chypres classiques. Même si la forme n’est pas la plus fidèle, l’autorité renforcée, restaurée, retrouve l’esprit Mitsouko, le côté femme forte, garçonne, mais avec option bas bleu. Le genre de parfum qu’aurait pu aimer Mme Verdurin ? 


Mitsouko, Jacques Guerlain, 1919.

Pour l'avis sur la version eau de parfum 2013, c'était ICI
Pour la comparaison avec une version vintage: ICI
Sur les reformulations et repesées: ICI




Commentaires

  1. Yvonne de Galais10 mai 2019 à 21:49

    Est-ce que je dois me réjouir de porter le parfum de Mme Verdurin? Réflexion faite elle a tout de même le bon goût d’aimer Wagner et d’être dreyfusarde. Soit dit en passant j’adorerais avoir votre avis sur les parfums des personnages de la recherche.
    Bonne soirée

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    1. Oh oui, c'est une bonne chose... Elle ne s'en sort pas trop mal dans le roman! C'est une arriviste mais elle arrive et dans le fond, de façon asse respectable quoi que tyrannique, mais tout en se restant au final assez fidèle à elle-même. Dans le fond, moi, je l'aime bien...

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  2. Je voyais enfant sur les comptoirs des pharmacies l'eau de Guermantes, mais je ne l'ai jamais sentie. Quant à Mitsouko, je l'ai porté et reporté, maintenant je ne peux plus....

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  3. Les pages se tournent... il y a du nouveau à découvrir, surtout chez les anciens...

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    1. Oui, heureusement, il y a du nouveau, mais j'aime le retour aux sources, c'est assez salutaire!

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