illusion

“Alors, à défaut de la croyance disparue, le costume signifie la suppléance à celle-ci par le moyen d’une illusion volontaire.”

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, le côté de Guermantes, 1921.
Souvent, les gens me posent une question qui m’embête : "est-ce que c’est de la qualité ? Tu en penses quoi ?"  Ça m’embête, pas parce que je n’ai pas des avis sur tout, mais parce que je sais que les gens attendent une réponse qui n’est pas celle que je veux leur fournir. Ils s’attendent à ce qu’on leur parle belles matières, pour eux ça signifie naturelles, et surtout tenue et diffusion. 

Mais moi, ce n’est pas ce qui m’intéresse que ça sente fort et longtemps.( Et la plupart des gens feraient la gueule à un parfum fait de matières naturelles uniquement) Par définition, le parfum est un art de l’éphémère et certaines choses ne sont pas destinées à durer Un joli citron, comme l’eau d’Hadrien (Annick Goutal) ou l’eau de fleurs de cédrat (Guerlain) n’est pas destiné à sentir fort et longtemps, mais à être utilisé joyeusement et souvent Sinon, il y a des choses très laides comme l’affreux citron noir d’Hermès qui flanque la migraine et sent l’abominable vulgarité des bois ambrés qui s’imposent

Avec Parfum d’Empire, c’est assez facile : la marque coche pratiquement toutes les cases Les jus sont travaillés par quelqu’un qui connais ses classiques, il y a un côté direct, rentre dedans même, assez moderne, mais on perçoit quand même une vraie subtilité dans la construction C’est signé, personnel mais pas conceptuel, conceptuel dans la niche voulant dire "importable mais on peut pas le dire pour pas passer pour des cons qui n’ont rien compris." Et ça sent longtemps et fort à des prix raisonnables Je ne porte rien de la marque, trop moderne pour mes corsets, mais je leur envoie plein de clients. Et je m’en veux un peu de ne pas en parler plus ici.

Musc Tonkin est un très bon exemple. C’est un parfum qui ratisse très large. Il évoque une matière défunte (Pour des raisons de protection animale) et quantité de parfums disparus, et ça les vieux adorent, il a un côté immédiat qui donne confiance au néophyte qui sait où il va Et il fait preuve d’une tenue et d’une diffusion excellente (Il est à ranger dans la catégorie "résiste à la lessive, on le sent quand on repasse les vêtements.")

Intelligemment, il reconstitue une odeur perdue en ne jouant pas les reconstitutions "de synthèse" mais en utilisant de tout ce qui peut contribuer à rendre l’effet souhaité. Des aldéhydes apportent discrètement de la lumière et des nuances de poudre, les fleurs sont utilisées pour leurs connotations sexuelles et animales. (L’indole du jasmin, on en parle?)Il y a aussi des fruits blets. Les muscs sont présents, jouant le propre et le sale, mais associés à un chypre cuir qui évoque la peau… L'illusion est parfaite et on "sent" ce musc que nous n'avons pratiquement pas connu. Et tour à tour, sont évoqués des parfums anciens qu'on croit retrouver avec plaisir comme on retrouve sur le visage d'un enfants certains traits de ses ancêtres.

Si l’idée de l’indécence est bien présente, si l’animalité est bien là, tout est quand même très gentil. Musc Tonkin n’est pas un parfum barbare, gratuitement provoquant, plutôt l’un de ces parfums élégants qui comme les anciens savent que l’intérêt du manteau de fourrure bien coupé, c’est d’être nu en dessous. On reste très éloignés de l’animalité d’un My Sin, le parfum "toute nue sous ma fourrure, je me mets un doigt." Musc Tonkin est moins choquant, plus séduisant et plus rassembleur, sans pour autant tomber dans le politiquement correct. Perdu au milieu d’un paquet de bonbons, il détonne, choque sans doute, mais je ne pense pas qu’on ait jamais porté du parfum pour se fondre dans la masse, non ?

Musc Tonkin, Marc-Antoine Corticchiato pour parfum d’empire, 2014. 

Commentaires

  1. Bonjour
    Je suis très heureux de lire une critique de la marque Parfum d'Empire que j'affectionne particulièrement.
    Musc Tonkin me plait vraiment beaucoup et j'adore le porter, je partage d'ailleurs l'avis que tu portes sur lui.
    Je possède l'EDP et je n'ai jamais pu sentir l'extrait qui était sortit en série limitée. J'ai entendu dire que cet extrait pourrait-être de nouveau commercialisé.
    Bon dimanche.

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    1. Je savais que tu ferais partie de ceux qui se précipiterais pour lire ;-)

      Je suis content d'être raccord avec un porteur, moi qui ne fait que le sentir sur d'autres.

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    2. Je suis toujours ton blog même si je ne connais pas le sujet ou le parfum dont tu parles. Mais là oui ! je connais

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  2. Ahhh Parfum d'Empire, une des premières marques de niche que j'ai découvert grâce à un échange d'échantillon sur internet autour de l'ambre. J'ai donc commencé par Ambre Russe (et sa vodka épicée) pour ensuite me laisser tenter par Cuir Ottoman (son cuir daim aux accents de rouge à lèvre). Puis ce fut au tour de Wazamba de faire son entrée à la maison (gros coup de coeur pour ses baumes qui crépitent sur la peau comme un brasier). Dernièrement je me suis offert Corsica Furiosa, mais j'ai encore du mal à apprivoiser sa verdeur (trop feuille de tomate peut-être ?). Dans tous les cas c'est une marque qui propose de jolies choses, marquées, signées et avec un rapport qualité/prix vraiment excellent. Je conseille toujours Parfum d'Empire à qui veut s'aventurer dans autre chose que les têtes de gondoles Sephora. Concernant Musc Tonkin, je le trouve puissamment animal... déjà reniflé plusieurs fois, j'ai jamais osé le porter sur peau de peur de sentir le bouquetin. Mais cet article me donne envie de retenter l'expérience.

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