Lundi lecture
Après avoir beaucoup aimé Delphine, il me fallait lire Corinne ou l’Italie de Madame de Staël. Ce n’était pas forcément sans réticences, réticences que je suis bien en peine d’expliquer. Le fait que l’ouvrage tienne à la fois du roman et du guide de voyage n’y est peut-être pas pour rien. Mme de Staël parle d’Italie, la décrit, l’analyse longuement, ce qui peut retenir. C’est surtout Rome qui est décrite et comme j’aime beaucoup Rome, j’ai adoré ces passages d’autant que Rome à peu changé : les ruines romaines sous le clair de lune sont à peu près identiques aujourd’hui, le charme de la Villa Borghese est toujours le même. Certes, depuis 1807, il s’est passé des choses au point de vue littéraire, mais l’ouvrage peut certainement introduire à l’Italie et en donner une envie furieuse. La situation politique de l’Italie a peut-être changé mais Germaine de Staël qui se sentait européenne (et boudait l’Empire qui le lui rendait bien) ne s’est pas tellement démodée.
Le roman quant à lui est complexe, romantique et passablement en avance sur son temps également. Je n’analyserai pas et ne me prononcerai pas sur le féminisme de Madame de Staël, mais enfin, des éléments sont là, qui cependant ne s’arrête pas à la simple condition de la femme. (Remarquez que je pense que le féminisme n’est pas que l’affaire des femmes, mais concerne tout le monde !) Un lord écossais vient en Italie pour oublier son chagrin relatif à la mort de son père et à sa propre attitude qui n’a pas toujours été celle qu’elle aurait dû être. Il y rencontre une femme, une poétesse, également originaire de Grande-Bretagne, qui a fui les îles pour s’installer en Italie où elle est plus libre de laisser son talent s’exprimer et de mener une vie qui lui convient. (Traduction : c’est une influenceuse à plusieurs millions de followers émerveillés par son talent, à l’image de la fille de Necker..) En Angleterre, elle étouffait sous la coupe d’une belle-mère qui plaçait plus haut que toute la respectabilité qui vient de la stricte observance des coutumes et conventions.
Le drame qui se nous est un amour impossible entre une femme libre, une artiste, une créatrice et un homme épris de morale et à la recherche d’une calme vie domestique auprès d’une épouse dont la modestie est l’une des vertus. Les questions que nous sommes obligés de nous poser sont celle de la liberté de l’artiste et de la femme, de la compatibilité entre l’imagination, le talent et la vie domestique, de la possibilité d’aimer une créature supérieure sans lui rogner les ailes. En amour, « nous voulons des choses différentes » n’est à mon avis pas un thème qui est près de se démoder. C’est joliment traité, on a de l’affection pour tous les personnages, même pour le français un peu caricatural dans sa vanité qui traversasse le roman. On découvre à travers eux l’Italie et l’Angleterre, et l’Angleterre n’est pas le modèle que l’on a envie de suivre.
J’ai beaucoup aimé les deux aspects du livre et le fait que ce soit un livre « intelligent » qui ne se contente pas de raconter une histoire pour distraire mais qui pose des questions, invite à la réflexion sans pour autant oublier d’être un roman avec une intrigue est des personnages bien écrits et non de sèches idées en action. Si on peut parler de pré féminisme, on peut aussi parler de pré romantisme, car même si certains éléments sont là, mélancolie du lord, douleur de l’amour impossible, etc., Madame de Staël reste relativement classique et n’abandonne pas ses personnages à l’empire de passions maladives. Et s’il y a des idées, ce sont de belles et bonnes idées, des idées modernes.
Une très belle découverte. Je regrette qu’on parle toujours de la contemporaine Jane Austen, certes plus amusantes, mais pas nécessairement plus fine observatrice de la nature humaine, et dont l’univers est bien plus étriqué. Je n’oppose pas l’une à l’autre, je les trouve au contraire très complémentaires, je dis simplement aux lectrices/lecteurs de Jane qu’il est bon aussi de contempler la marche du monde, d’avoir des idées à une échelle qui n’est pas celle du village.
Germaine de Staël, Corinne ou l’Italie, 1807.
Bravo pour ce billet, D'au ! Vous m'avez donné furieusement envie de le lire ! Moi je suis en pleine période contemporaine, non pas en Italie mais aux Comores. Je suis en train de lire "Tropique de la violence" de Nathacha Appanah. Un petit livre dense avec une écriture magnifique...
RépondreSupprimerCécile
Merci, si quelqu’un relit (ou lit en fait!) un classique grâce à moi, je serai absolument ravi! Je note le livre mais est-ce qu’il m’arrive encore de lire des contemporains ? (Enfin, j’ai quand même acheter le dernier Murakami)
SupprimerMoi aussi, je viens d'acquérir les 2 derniers volumes de Murakami... 😉
SupprimerLes grands esprits...
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