Autant
prévenir directement : je ne suis peut-être pas très objectif, j’aime beaucoup
Isabelle Carré, avec mi, elle a la carte. Pas forcément qu’elle ne joue que des
chefs d’œuvre ou puisse tout jouer, mais elle sait choisir ses rôles et on peut
prendre beaucoup de plaisir avec des œuvres qui ne sont pas des chefs d’œuvre.
Ce qui explique que quand j’ai vu qu’elle publiait un livre, j’ai eu envie de
le lire. (Surtout après avoir lu la quatrième de couverture.) Les rêveurs est
un roman autobiographique où elle raconte son enfance, sa famille, livre un peu
d’elle adulte aussi. L’exercice est délicat et pourrait faire fuir à l’idée de
lire un Xème livre de célébrité qui contemple son nombril avec un mélange d’autosatisfaction
et de victimisation. Dieu merci, rien de la sorte ! Jamais le livre n’est
indiscret ou indécent, jamais il n’exhibe une intimité. Le terme roman fait
sens, je vous parle bien d’une œuvre littéraire, pas de confessions ou de
confidences. Il y a un travail d’écriture et une poésie qui se dégage du texte
et qui séduit qu’on apprécie ou pas la comédienne.
Isabelle
Carré écrit des bribes d’histoire familiale par petite touche, des moments d’émotions,
de sensation, des impressions, délicatement, avec de jolies couleurs émouvantes. (On isolerait volontiers certains passages
pour les faire lire en classe.) Je préviens quand même que l’ouvrage peut
sembler décousu parce qu’il ne se tient pas à la chronologie, au factuel. Mais
c’est très agréable en soi et j’ai été touché, cependant, c’est le recul, la
progression dans le livre, qui permet d’avoir une vue d’ensemble et de
comprendre, et qui rend le récit vraiment intéressant. Au-delà de la simple
émotion, le texte donne à réfléchir et va plus loin qu’un simple destin
particulier en traversant des époques et des milieux qui peuvent sembler à des années-lumière
d’aujourd’hui alors que ça n’a pas tellement changé, pas forcément dans la tête
de tous. Parce qu’il aborde des questions qui se posent encore et parce que la
transmission est là : Qu’est-ce que des parents qui ont grandi avant mai
68, avant la libération, ont transmis à leurs enfants, nous don, du moins moi,
et qu’est-ce que, nous même, nous allons transmettre de cette éducation qu’ils
ont reçue et qui a pesé sur nous ? Même quand on a grandi dans les années ’70,
une mère qui mettait ses gants blancs pour aller à la messe tous les dimanche
matin, ça fait passer autre chose que la simple euphorie libérée des années ’70.
les rêveurs, quatrième de couverture |
Il y a un
aspect générationnel dans le livre. Je ne sais pas s’il parlera à tous comme il
m’a parlé. J’ai trois semaines de plus qu’Isabelle Carré, son enfance dans les
années ’70, les années sida, etc. sont autant de choses qi me parlent, me
touchent, parce que je les ai vécues, traversées aussi, et de la même
façon. Certaines choses plus intimes, je
m’en suis rendu compte presque sans faire le calcul, je les ai vécues aussi, en
même temps et de la même façon parce qu’on y a apporté pour moi les mêmes
réponses que pour elle. Je ne vous dirai pas lesquelles, parce que ce qui se
dit dans un livre n’est pas nécessairement à sa place sur un blog, un peu/beaucoup
frivole, et parce qu’il est question du livre d’Isabelle Carré, pas de moi,
simplement, je le mentionne parce que ça explique en partie pourquoi j’ai
autant aimé le livre. Personnellement, je n’avais rien lu avant le livre et c’était
plutôt une bonne chose, ça a permis une surprise, une découverte complète. Mais
je vais quand même citer l’auteure qui a dit en interview (je cite de mémoire)
avoir été choquée par la manif pour tous qui parlait des enfants des
homosexuels mais sans jamais leur donner la parole, une parole qu’elle décide
de prendre et de faire entendre. Quand je vous dis qu’une enfance dans les
années ’70 peut encore faire sens, apporter quelque chose au débat actuel…
Page 141 :
« J’écris pour qu’on me rencontre. » C’est une belle rencontre, un
partage d’intimité, un moment rare et précieux, délicat, jamais indécent. Un
livre qu’on referme sans plaisir parce qu’on voudrait rester avec l’auteure
encore un petit peu, prolonger l’instant. Maintenant, mon but dans la vie (un
parmi d’autres, je vous rassure.), c’est qu’Isabelle Carré devienne ma meilleure amie.
Isabelle Carré, les rêveurs, Grasset, 2018.
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