nuit de Chine

"Pour m’entourer justement des souvenirs de Combray et des jolies assiettes peintes, j’aimerais relire les Mille et une nuits."

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe, 1922.

Depuis quelques nuits, je dors dans du bleu de Chine. Lorsque j’ai vu le flacon de ce parfum que je croyais disparu dans une parfumerie, je suis devenu un enfant qui découvre au pied du sapin les jouets qu’il avait demandé au Père Noël sans croire vraiment qu’il les recevrait. Depuis, je m’endors chaque soir dans du bleu de Chine dont je ne sais pas à quel point il a changé. À sa sortie, je l’ai longtemps convoité, mais jamais porté. Et j’avoue que je l’ai convoité en partie à cause ce nom et ce flacon inspiré des nuages des peintures chinoises.

Bleu de Chine n’est pas un parfum typiquement années ’80. Il ne se situe pas dans la lignée des Poison, Coco ou Giorgio. Il doit un peu à Ombre Rose parce qu’il a des aspect rétro et poudrés, qu’il est un peu en dehors de la mode et de la modernité de son époque, ce qui le rend plus facile à porter aujourd’hui parce qu’il n’est pas vraiment datable sans analyse au carbone 14. Il fait ancien, parfum d’autre fois, mais un plus jeune arriverait difficilement, je pense à identifier la décennie qui l’a vu naitre. 

Très classique, le départ est un souffle poudré où on découvre le bouquet de fleurs blanches avec un effet bubble gum dû à la tubéreuse (fleur d’orangée ?) traitée à la fracas. C’est discret, furtif et me fait penser au premier parfum Missoni que je portais à cette époque, il y a donc des éléments typiques de la décennie qui aimait aussi les parfums gourmands, même si c’était beaucoup moins calorique qu’à l’heure actuel. Les fleurs sont très abstraites, c’est un parfum d’avant la mode « il faut pouvoir identifier des notes » et beaucoup plus moelleuses, crémeuses que violement sensuelles. (À la Fracas ou Poison par exemple.) Le fond de chypre vanillé accentue encore la sensation de confort, très « robe de chambre chic. » Si le nom et le flacon évoque les chinoiseries, nous sommes cependant très loin du tonitruant Opium qui avait remis les orientaux à la mode. L’ambiance est plus cosy qu’autre chose, joliment désuète.

Après tout, n’avons-nous pas tous besoin de parfum pour traîner à la maison, ne pas voir le monde, ne pas savoir le temps qu’il fait, de temps en temps, non ? J’aime beaucoup Bleu de Chine, je suis ravi de mon achat, mais je comprends bien la part de nostalgie qui entre dans mon contentement et, je ne me voile pas la face, je réalise que c’est juste un bon parfum et pas un chef d’œuvre, quelque chose qui me parle à moi mais n’émerveillera pas forcément le reste de l’univers. Cependant, je me dis qu’il ne doit pas être désagréable, certain soir de venir mettre le nez dans mon cou pour respirer ce joli sent-bon tout doux qui apporte un peu de tendresse dans ce monde de brute. Les nuits de Chine peuvent être des nuits câlines. 


Bleu de Chine, Pierre Bourdon pour Marc de la Morandière, 1987.

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