stocks, névroses et investissements

shalimar, Gerlain

La gestion du stock est un grand problème de perfumista dont je devrais peut-être parler avec mon psychanalyste plutôt qu’avec vous, mais vous êtes plus compréhensif et un disciple de Freud verrait dans cet amour du Beau une vulgaire névrose d’origine sexuelle. Vous me direz qu’avec Marie-Madeleine en sainte patronne des parfumeurs, il n’aurait peut-être pas tort…

Comme beaucoup, j’ai un léger problème d’accumulation. J’ai beau m’en rendre compte, je continue de guetter la perle rare et de l’acheter quand je la trouve. (Tant que j’ai encore les moyens de manger des pâtes à l’eau en fin de mois.) Cette accumulation concerne les parfums que j’aime et que je porte souvent, même si, je m’en rends compte, l’obsession d’un moment peut ne pas être durable et que le favori du jour sera remplacé bientôt. Mais je fais aussi une fixation sur des parfums que je porte peu, très peu. Voilà pourquoi le billet est illustré par des flacons de Shalimar de Guerlain. J’en achète de temps en temps : de l’actuel, parce qu’il est beau, des anciens, parce qu’il était beau… J’en achète régulièrement en sachant que je peux porter Shalimar chaque jour pendant plus d’un an et en sachant que je peux me parfumer pour les 20 années à venir.

Mais au vu de la laideur des sorties, on est bien obligé d’acheter toujours les mêmes vieilleries. (Première bonne excuse !) Et puis un parfum vit, change et bouge selon les millésimes, merci aux législations et à l’IFRA, on ne s’offre donc jamais forcément le même. Le millésime, c’est un peu le flanker du vieux… (2ème bonne excuse.) Sans oublier que la prochaine version sera peut-être laide ou notre parfum chéri discontinué. (3ème bonne excuse.) Je n’ai toujours pas décidé dans le plus profond de mon âme (ce qui n’est pas forcément très profond, certes.), de ce qui me faisait le plus de peine. Vent Vert de Balmain me pousse à penser que la vilaine formule remplaçant le chef d’œuvre est un traumatisme dont je ne me remets jamais vraiment. (Est-ce sexuel, Docteur Freud ? Sincèrement, je ne crois pas.) Voilà plus d’un quart de siècle que je ressasse le massacre par Calice Becker sans pouvoir échapper à la dépression nerveuse. Ça va beaucoup mieux depuis que j’ai mis la main sur un flacon vintage, merci.

Raison suprême et indiscutable : l’actualité nous donne raison, hélas. Depuis qu’une usine BASF a brûlé en Allemagne, c’est la panique pour certaines matières premières. L’industrie du parfum, il faut le rappeler est un tout petit monde et cet incident a des répercussions énormes. On prévoit des pénuries et des hausses de prix dues à la spéculation. Certains sont déjà plongés dans les reformulations, les alternatives pour maintenir la production, pouvoir sortir les nouveautés prévues en intégrant ces paramètres d’un marché qui n’est plus le même tout d’un coup. Bref, ça ne sent pas bon dans le monde du parfum et 2018 risque d’être une fort mauvaise année. Au moins, vous ne pourrez pas dire que je ne vous ai pas prévenu. Et si jamais vous hésitez à vous faire offrir un flacon (de plus) pour Noël, vous avez une très bonne raison de céder à votre envie. Parce que vous risquez de le regretter, très fort, à chaque fois que vous atteindrez un fond de flacon…