fashion

“Les gens à la mode, pour qui il faisait la pluie et le beau temps…”

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, du côté de chez Swann, 1913.

En 1960, Bettina Ballard a écrit ses mémoires du temps passé à Vogue sous la direction d’Edna Chase. Elle est entrée au magazine en 1934 et s’est très vite retrouvée correspondante à Paris, parce qu’elle parlait français. En 1940, elle rejoint New York, s’engagera dans la Croix Rouge, c’est à ce titre qu’elle rejoint Paris à la Libération, et retravaillant pour Vogue jusqu’en 1954, retrouvera le Paris des collections et du New Look… (Elle a donc connu deux âges d’or de la mode.)

Formidable expérience de la mode et de la vie, Bettina parle des créateurs, du vêtement, de l’évolution du rapport des gens à la mode, mais aussi de la frivolité de Paris, des tourments de la guerre. Ce qui fait la différence, c’est l’humanité de Bettina lorsqu'elle parle des gens, toujours de façon bienveillante, son humilité et sa lucidité lorsqu'il est question d'elle-même. Elle se remet en cause, interroge sa propre frivolité, confie le sentiment de honte lorsqu'elle se trouve confrontée à sa propre légèreté au moment de la guerre

Elle parle assez peu de mode, dans le fond, et pour comprendre, il faut avoir une certaine connaissance des vêtements ces années. Elle envisage bien plus les créateurs en tant que personnes et leurs créations sous l’angle du style et de l’idée qui sous-tend le vêtement. Elle ne se perd pas en descriptions de tissus et de broderie, elle parle d’élégance, en en donnant presque malgré elle une leçon. Surtout bien sûr quand elle parle de Balenciaga. Ce qu’elle dit de lui, de l’homme, de ses robes, de ses clientes, m’a beaucoup touché. Elle est un peu moins aimable -quoique très admirative- avec Gabrielle Chanel, mais il est difficile de faire un portrait très humain de celle qui était, il faut bien le dire, une  sacrée garce. Elle nous narre aussi les photos, les illustrations, les textes, et la vie d’un magazine de l’époque, très différente de ce qu’on voit, de ce qu'on imagine, aujourd’hui.

Et puis il y a les drames. La rédaction du Vogue français endeuillé. Paris, ce Paris qu’elle a aimé qui se redresse bravement, un Paris  meurtri où elle nous dépeint  ses amis qui ont perdu un mari, un enfant, ses amis qui font face, mais qui ne seront plus jamais comme avant. Certains passages sont vraiment émouvants.

In my fashion est un livre qui sait  toucher parce qu’il raconte plus que la mode, parce qu’il raconte les gens avec justesse, pudeur et respect. In my fashion n’est jamais indiscret, indécent ou voyeur. Bettina dresse un portrait de la mode, pointu et intéressant, mais le fait avec une amabilité qui change de l’image qu’on a actuellement des gens de la mode pour qui la méchanceté et la cruauté semble souvent être le comble de l’élégance. Pas de vacheries à la Karl, pas de froideurs à la Wintour, pour Bettina qui sait être une grande dame.  Bettina était Vogue à 100%, mais un Vogue qui était avant tout élégant, et l’élégance est bien plus qu’une histoire de vêtements à la page, n’est-ce pas ? Mais ça, c’était avant…

Bettina Ballard, in my fashion, éditions Séguier, 2016.
(Première traduction en français, parution originale USA, 1960.)

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