devant la paroi de verre

La salle à manger du Grand Hoôtel de Cabourg.

"L’hôtel où les sources électriques faisant sourdre à flots la lumière dans la grande salle à manger, celle-ci devenait comme un immense et merveilleux aquarium devant la paroi de verre duquel la population ouvrière de Balbec, les pêcheurs et aussi les familles de petits bourgeois, invisibles dans l’ombre, s’écrasaient au vitrage pour apercevoir lentement balancée dans des remous d’or, la vie luxueuse … "


Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, à l’ombre des jeunes filles en fleurs, 1919.

Le luxe n’est plus ce qu’il était. Le Normandie était la façon la plus luxueuse de voyager dans une époque prodigue et inconsciente ou l’on se plaisait à danser au bord du volcan. Une époque étrange et révolue ou la transatlantique était un moment de vie mondaine et de luxe comme un autre. C’était avant Ryan Air et l’Eurostar, un monde de privilèges et de privilégiés, un monde qui n’en finissait plus de jeter ses derniers feux et qui fait encore rêver lorsqu’on le voit sur une vieille affiche de Cassandre. Un monde où Jean Patou habillait, parfumait avec insolence et provocation, les femmes qui embarquaient sur ce joyau art déco qu’était le Normandie. Le parfum créé pour l’occasion est encore trouvable dans sa réédition des années ’80 par Jean Kerléo et me donne de temps à autre l’occasion de me vautre dans ce luxe scandaleusement indécent aux yeux des puritains modernistes. (Lapidez-moi si vous pensez que c'est mal d'aimer le luxe!)

Normandie est "classique." Outrageusement. Et dans ce sens très daté, dans un genre qu’on peut volontiers trouvé un peu "poule."Des aldéhydes lui donnent une aura mi savonneuse mi poudrée qui le date. Le parfum est un bouquet crémeux jasmin et rose, mais surtout la belle note épicée de l’œillet, qui scintille et se laisse dériver vers le chypre et l’orient, une belle base de mousses, d’ambre et de vanille. Normandie, c’est à la fois le décolleté pailleté pour la soirée à la table du capitaine et la fourrure pour aller embrasser un bel inconnu sur le pont, un parfum bien né mais trop riche que pour se plier aux conventions. Il y a un moment, vous comprenez, où nous ne sommes pas du même monde et où la morale vacille un peu.

Porter Normandie aujourd’hui, c’est être délicieusement décalé, jouissivement démodé, divinement décadent. C’est un costume d’époque, démodé, mais confortable et somptueux. À ne surtout pas réserver aux grands soirs, un parfum pareil, c’est fait pour sublimer le quotidien. Portons le triple rand de perle et le vison pour prendre le bus, enchantons le monde en allant faire notre marché. Ne restons pas devant la paroi de verre, traversons là pour un instant.

Normandie, Jean Patou, 1935.

Commentaires

  1. J'ai été intriguée quand tu as posté une photo du flacon sur Instagram, je ne le connaissais pas. Saurais-tu par hasard pour quelle raison il n'existe plus actuellement ?

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    1. Comme quasi tous les Patou, à part Joy et 1000, il n'a pas été bien géré. La collection rééditée était trop niche avant la niche et trop historicisante. Normandie montre vraiment son âge. Ca ne me gêne pas et d'autres ont réussi à survivre, comme Arpège ou N°5 mais avec des campagnes régulières. Patou n'a jamais communiqué à part sur Joy et 1000 et pas très régulièrement. Et si on n'explique pas aux gens...

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    2. Bonsoir Dau
      J'aime le côté décalé, démodé et décadent de Normandie justement parce qu'il est beau, il faut "oser" le porter pour d'abord se faire plaisir. J'apprécie les créations de Jean Kerléoparce qu'on les ressent " créations sincères" C'est aussi "ça" la parfumerie que j'aime.Datés, certes , mais "chefs d'oeuvres "
      peu importe ils défient le temps , n'en déplaise à Cékaouane et ses sbires.
      Il est classieux et le restera.
      J'ai un flacon de forme bateau un peu kitch vide maintenant, trouvé dans un carton chez mes grands parents, ainsi qu'un flacon traditionnel du Normandie Patou "comme sur la photo" plein lui,
      Je ne le porte que deux trois fois l'an par plaisir et par défi , il fait friser les regards , retrousser les nez Cela m'amuse d'ailleurs beaucoup...

      (Encore un breton de talent ! )
      ..

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    3. Ah, Touti, le flacon bateau, ça, c'est une vraie relique mythique! (Oui, c'est Kitsch et?) Le côté démodé, ça ne fait peur qu'une fois, à partir du moment où on a franchi le cap, on se rend compte que la vie est bien plus vaste, plus belle, de ce côté de la frontière et on ne revient plus en arrière. (Dit-il en Arpège vintage.) Mais j'avoue que pour moi aussi, Normandie, c'est "pas tous les jours" Je l'aime, mais il a un aspect que je pourrais finir par trouver un peu lourd au quotidien. Mais je dirais ça de n'importe quel parfum. La tiare en diamant, c'est beau et amusant, tant que ce n'est pas un uniforme d'altesse royale engluée dans le protocole.

      ;-)

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