saisissement par la grâce

"Comme une sombre fleur inconnue qui m’était par-delà le tombeau rapportée des profondeurs d’un être où je n’avais pas su la découvrir, il me semblait, exhumation inespérée d’une relique inestimable, voir devant moi le désir incarné…"

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, Albertine disparue, 1925.

Reparler de l’Heure Bleue?

Oui, encore un peu. Parce qu’on n’en parle jamais assez, la laissant dans l’ombre de Shalimar ou de la Petite Robe noire. Et parce que je la redécouvre encore un peu chaque jour et que c’est toujours un nouveau coup de cœur. L’Eau de Toilette a vraiment été une surprise pour moi et je pense que c’est ma version préférée. Naïvement, je m’en tenais à l’eau de parfum, souvent la plus jolie version, celle qui correspond note pour note à l’extrait mais j’ai révisé mon jugement.

Le départ du parfum est plus marqué : l’anis et la bergamote apporte de la transparence, de la légèreté, la fleur d’oranger est moins cireuse, moins encaustique (la note qui dérange souvent), et le fond plus poudré que baumé. Ce n’est pas grand-chose, une simple réorchestration mais ça change tout en rendant la fragrance plus rêveuse, un peu moins sensuelle, un peu plus lisible d'être plus transparente. C’est un peu moins cocotte et un peu plus élégant, comme si la dame avait renoncé à ses accumulations de colifichets hivernaux le temps d’une villégiature estivale et que cette beauté nouvelle, plus légère, lui allait bien mieux que les ornements de la richesse. Je dis estival, mais je ne pense absolument pas que cette version convienne mieux à l’été que l’extrait ou l’eau de parfum, au contraire, les jours frais lui vont peut-être même mieux que la chaleur. 

Pour ceux qui s’inquiéterait de la tenue et de la diffusion, pas de souci à avoir avec cette cet Heure Bleue en eau de toilette : le sillage est là, présent mais plus transparent, plus aéré, moins étouffant, plus à sa place en décors naturels alors que l’extrait et l’eau de parfum évoque naturellement l’appartement.  Et je peux même comprendre, peu importe la version, qu’elle puisse devenir le parfum unique de certains, tant on a l’impression de se retrouver en sentant les traces qu’elle sème sur notre passage, restant sur les manteaux, les écharpes, les coussins contre lesquels nous nous sommes appuyés.

Il fait partie de ces rares parfums qui me font tout arrêter en cours de journée et me dire "Putain, c’est quand même beau !" Suspension du temps, saisissement par la grâce ; avouez que cela vaut bien que je reparle un peu de l’Heure Bleue.

L’Heure Bleue, Jacques Guerlain pour Guerlain,  1912.

Commentaires

  1. Mon cher Dau,
    Je dois confesser que je ne m'adonne pas à l'Heure Bleue très souvent et pourtant pour moi c'est sans aucun doute "Le Parfum", celui qui englobe toute la gamme de senteurs. Chez Guerlain à Madrid, le parfum serait plutôt "Vol de Nuit" de par sa complexité et pourtant je tiens toujours à cette Heure Bleue qui est bien capable de raconter une histoire, toutes les histoires, qui est innocente et pas si ingénue que ça, chaleureuse et accueillante et parfois dérangeante en même temps. Je porte l'Heure Bleue et j'oublie Shalimar ou Mitsouko tellement elle m'enveloppe, me transporte, me fait rêver, puis réfléchir. Je l’ai toujours utilisée en eau de toilette principalement à cause du climat et je suis d’accord avec vous pas nécessairement pour l’été, plutôt par temps frais.
    Très cordialement,
    Sara

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    1. Oh non, ce n'est pas une innocente, elle cache son jeu sous des airs de femme comme il faut! Shalimar, j'avoue un peu de mal à l'aimer: il est beau, bien construit, mais j'ai l'impression qu'il manque de complexité dans son message qui ne serait que celui du désir. Misouko, c'est autre chose, je le trouve un peu plus sec, plus bas bleu intellectualisant. Il me séduit mais me fait un peu moins rêver, peut-être tout simplement parce que je le trouve un peu moins confortable?

      à bientôt ;-)

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  2. Bonsoir Dau, bonsoir très chère Sara (j'attends toujours votre article sur Liu, même en espagnol !)
    Bon, je vais m'attirer les foudres, subir l'ostracisme, être vouée aux Gémonies : l'Heure bleue et Shalimar font partie des parfums que je ne supporte pas. Ils me rendent physiquement malade. Je me souviens d'une soirée apéritif dînatoire dans le jardin de mes amis. Ma voisine portait l'Heure bleue, j'ai eu la nausée toute la soirée : impossible de manger ou de boire quoique ce soit ! Et puis je trouve (attention, je vais lâcher un gros mot) qu'ils sont outranciers. Heureusement que je ne les supportent pas car en plus, je trouve qu'ils me vieillissent. Est-ce parce que dans ma famille où on chérissait les Guerlain, aucun membre à ma connaissance ne les a portés ? Est-ce une question d'éducation ? Mes Guerlain d'amour sont Mitsouko, Après l'Ondée, Jicky et le magnifiquement équilibré et mystérieux Vol de nuit.
    Bien à vous deux
    Cécile

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    1. Comme je l'ai déjà dit à Sara, Shalimar, j'ai vraiment du mal aussi. Je le trouve surfait. Et je comprends parfaitement qu'on aime pas l'heure bleue qui effectivement peut être vieillissant. Mais comme la plupart des parfum anciens. (à part Jicky et son chic canaille?) Mais alors, là, vraiment, avoir l'air plus ou moins vieux m'indiffère un peu. J'avoue, j'aime bien, dans le fond, qu'on me trouve bien conservé pour mes 90 ans. :-)

      Outrancier, j'ai du mal à comprendre avec l'heure bleue, tant elle me parait sage, polie. Je comprends mieux avec Shalimar, plus clinquant et plus extravagant. Mais bon, chacun sa vision. Et chacun pose ou il le veux le curseur de l'outrance...

      à bientôt.

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    2. Bonjour Cécile et Dau,

      Mujeres en la Historia 2 est paru et j'en fais la présentation aujourd'hui dans la bibliothèque du Retiro à Madrid ainsi que les autres écrivains. Je dois donc vous l'envoyer ainsi que le récit paru dans Mujeres en la Historia 1 sur Mary Shelley et à vous Cécile "Liu, Historia de un perfume".
      Je vous les envoie dès demain.
      A très bientôt.
      Sara

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