costume de scène

"La luxuriance séductrice et le suc empoisonné de certaines fleurs vénéneuses"

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, du côté de chez Swann, 1913.


Si je voulais vous montrer les années ’80,  je vous emmènerais voir Recherche Susan désespérément et je m’inonderais de Poison. 1985, le triomphe arrogant d’un certain glamour. Madonna vola la vedette à tout le monde dans le film, sexy et vulgaire, mâchant son chewing-gum, arborant des tenues invraisemblables qui firent date dans l’histoire de la mode, toutes les filles ont voulu lui ressembler, voulu ses bracelets de caoutchouc, son soutien-gorge apparent, ses mèches permanentées et son bagout insolent. Toutes les filles voulaient Poison aussi.

Lancé par Dior dans un vaste fracas publicitaire, Poison était une rupture. Fini les jeux sur le nom de monsieur Dior et  vive le marketing, Poison est calibré comme un blockbuster, une femme fatale de série B destinée à faire des ravages dans nos esprits. Des épices pour faire son entrée comme on claque les portes, et un bouquet de fleurs blanches mené par la tubéreuses comme les américaines les aimaient, elles qui continuaient à acheter Fracas et faisaient fête à Giorgio. Et puis la prune, les fruits rouges et noirs, des notes miellées pour l’adoucir, sur un fond d’orient. Poison tenait des jours, envahissait l’espace et refusait de céder du terrain face à la concurrence. Son agressivité très épaulée, son tape-à-l’œil pailleté ont séduit, remporté tous les suffrages. On se demande encore comment un parfum aussi extrême, aussi saturé a pu avoir un tel succès. (La pub n’explique pas tout.) De même qu’on se demande pourquoi la bluette de Susan Seidelman a fait salles combles. (Le tube Into the groove qui lui servait de générique n’explique pas tout.)

Les deux sont le reflet d’une époque. Quelque chose qui cristallisait les envies. Poison, je l’ai aimé et j’ai toujours de l’affection pour lui. Il est théâtral et de mauvaise vie, tapageur,  sexy, comme la Madone des débuts. Ça le rend assez fascinant. On se dit qu’il y a quelque chose derrière le trait grossier, forcé. Un charme comparable à celui de ces sur-femmes qu’incarnent les drag queens. Tout est trop, hystérique, c’est à la fois génial et insupportable. Les années ’80 pouvaient être odieuses, puantes de matérialismes et d’égoïsme, mais il y avait aussi une frénésie de fêtes, un enthousiasme, une énergie. Le cynisme régnait mais n’était pas encore désenchanté. En Poison, les bad girls pensaient conquérir le monde. Après…

Peut-on encore porter Poison aujourd’hui ? Oui, si on l’ose, les versions vintage restent magnifiques. La version actuelle est abominablement lissée.  Jolie si vous n’avez pas connu l’ancienne, mais tellement sage que vous ne comprendrez pas pourquoi Poison sentait le souffre. Les versions vintage ? Il faut aimer le vintage, l’ancien… Poison est rétro, plus que classique. Pas vraiment démodé, mais le reflet d’une époque ancienne, révolue. J’ai vraiment du mal à le concevoir porté au quotidien en dépit de mon amour de la tubéreuse et de ma passion pour les vieilleries. C’est une parure qu’on sort du coffre à l’occasion, un costume de scène. 

Poison, Édouard Fléchier pour Christian Dior, 1985.

Commentaires

  1. Bonjour Dau,
    Voilà un parfum qui démontre mes contradictions en matière olfactive : je vous ai dit que je ne supporte pas l'Heure bleue et Shalimar; que j'avais du mal avec Paris d'Yves Saint-Laurent... Mais j'ai adoré Poison, alors que, comme vous le dites si bien, on ne peut pas dire qu'il fasse dans la finesse... Pas pour moi, je l'ai offert à ma Maman, une brune très typée. J'adorais ce flacon améthyste enfermé dans une boîte vert émeraude. Mais peut-être parce qu'il est plus représentatif, comme vous l'écrivez si bien, d'une période, qui est celle où j'ai vécu mes 20 ans. J'arrive à relier plus facilement un parfum de cette époque à un épisode de ma vie.... Trois autres parfums que j'adore et qui sont contemporains (mais que je ne porterais plus parce que ça ne me correspond plus) ce sont Coco, Diva et Boucheron. Un peu comme Poison, des comme cela, on n'oserait plus en faire !
    Je me souviens d'être allé voir le film de Susan Seidelman entraînée par le tube de Madonna, mais je suis restée sur ma faim...
    Bien à vous

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    Réponses
    1. Ah! Ah! Ah!
      Autant pour la délicatesse en effet... Voila un belle bande de monstre années '80 dont on ne peut pas dire qu'on ne les a pas senti partout et parfois très mal portés. ;-) J'aime bien le genre, même si je le trouve difficilement portable et parfois même difficilement supportable. c'est un peu caricatural tant c'est "dans ta face!" mais je me demande comment les prennent les gens qui n'ont pas connu ces époques et à qui ils n'évoquent aucun souvenir...

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