mélancolie

« Mon chagrin entrait en moi d’une façon infiniment plus rapide, presque instantanée, à la fois insidieuse et brusque, par l’inhalation –beaucoup plus toxique que la pénétration morale- de l’odeur de vernis particulière à cet escalier. »

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, du côté de chez Swann, 1913.

J’ai découvert Après l’Ondée à la fin des années ’80 en achetant un flacon d’extrait dans une parfumerie qui fermait. C’était un achat en aveugle, fondé sur la réputation, rare, d’Après l’Ondée, un parfum peu porté mais très prisé.

après l'ondée, guerlain, repesée, 2014
Le départ anisé, très élégant, laisse la place à un parfum d’un absolu  réalisme et d’une infinie poésie à la fois: odeurs de sous-bois humides, de fleurs mouillées par la pluie. Toute la magie d’un moment de nature, moment fugitif, très bref, trop bref, était là, saisie dans un flacon et me saisissait à chaque fois, me laissant glacé, transi, le cœur un peu brisé. Peu de parfums m’ont autant ému, peu ont suscité une telle nostalgie, allant jusqu’à la tristesse. Pourtant, me dit-on, l’averse est finie et le soleil revient, ce n’est pas triste. Mais moi, j’étais prisonnier de la pluie encore et cette promesse de soleil, le parfum ne la réalisait pas, toute sa poésie était de la laisser entrevoir. Et peut-il y avoir plus triste qu’un bonheur entrevu dont on se dit qu’on est exclu ?

J’ai peu porté Après l’Ondée. Le flacon m’a duré longtemps. Et lorsque j’ai voulu le racheter, il avait disparu. L’extrait n’existait plus et la version eau de toilette actuelle est bien loin d’Après l’Ondée. Elle est un fort joli parfum mais qui n’a rien à voir avec Après l’Ondée. Un petit flacon m’a été rendu, celui de la repesée de 2014, cette émotion m’est revenue, aussi belle, et finalement un peu moins triste, adoucie par les souvenirs que je m’étais fait avec lui. Un grand merci à Guerlain de cette initiative en tout cas, à Frédéric Sacone qui a fait le travail en particulier, cette expérience restera incontestablement l’un des moments forts de 2014. Que l’on parle ou non de parfum d’ailleurs.

Après l’Ondée, Jacques Guerlain pour Guerlain, 1906, repesé par Frédéric Sacone en 2014.

Commentaires

  1. Bonjour Dau,
    Après avoir lu ce matin votre post rempli de tendresse sur Après l'Ondée, j'ai décidé de le porter ce matin. Avec tout ce qui tombe sur la région parisienne, ce gris sur gris dans un petit matin sinistre, je vais rajouter une petite goutte de spleen... J'ai grandi avec Mistouko comme avec Après l'Ondée : l'un était le parfum de mon arrière grand-mère, l'autre de ma grand-mère.
    Deux personnalités complètement différentes. L'une était une vrai pétroleuse, sa fille était tout l'opposé, extrêmement discrète, mélancolique et très aimante : la grand-mère idéale qui faisait tout elle-même, de ses propres robes aux gâteaux, et qui m'a donné le goût de la lecture.
    J'ai connu l'extrait sur elle, moi je dois me contenter de l'eau de toilette. Je continue à le porter car j'adore ce parfum, il a un côté baudelairien, pas les fleurs vénéneuses, mais la promesse d'un visage ou la vie antérieure. Je n'ai pas le privilège comme vous d'avoir une repesée 2014 mais il paraît que Thierry Wasser s'est penché dessus et a réussi à l'améliorer.
    Bonne journée à vous
    Cécile

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    1. Oui, c'est très joli mais impossible de revenir à l'ancien, les recommandations IFRA sont aussi drastiques pour lui que pour nos chers œillets et c'est bel et bien fini...
      Je vois tout à fait bien le côté vie antérieure. Vraiment un très grand parfum, mais son équilibre était très fragile, je pense. C'est ce qui faisait son charme, mais c'est aussi ce qui le rend si difficile à reconstituer. Le "rembourrage" de Mitsouko permet plus facilement de jouer sur la formule, je suppose. (Pure conjecture de ma part)

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    2. Bonjour Dau,
      Je pense que vous avez eu vraiment de la chance d'avoir ce parfum reconstitué ce n'est surtout pas la tendance générale. Hier, à Madrid j'ai pu assister à une conférence de Monsieur Francis Kurkjian. Je répète les paroles de ce parfumeur en répondant à mes questions: je vous assure nous marchons à reculons. Entre parenthèse mes commentaires.
      "1. Les parfums aux ingrédients naturels sont lourds il est préférable de porter des parfums avec des ingrédients chimiques de synthèse, plus légers." (J’ai ouvert la bouche et je l’ai fermée)
      2. "Les parfums ont un sexe, évidemment les femmes peuvent porter des parfums masculins et les hommes des parfums féminins, mais pour ma part je suis un créateur et le fait que certains parfums que je vends comme féminins - dans le cas qui nous occupe “lumière noire pour femme”- sentent vraiment bien sur les hommes espagnols, mieux que sur les femmes d’ailleurs, ne m'intéresse guère. (Il ne manquerait plus que ça, qui achète un parfum a le droit de le porter à sa guise ! Là, je vous jure que je suis restée sans paroles, ce monsieur a plusieurs boutiques en Espagne mais le sujet ne l'intéresse guère...)
      3. Il faut absolument évoluer et marcher vers l'avant au XXIe siècle il est inconcevable de porter les mêmes parfums que portaient nos grandes mères. (Pardon?!)
      4. Il m'a fallu faire pas mal de recherches pour recomposer le parfum qu'aurait utilisé Marie Antoinette mais je n'ai pris aucun plaisir à le reconstituer, beaucoup d'ingrédients naturels ce qui fait qu'il est lourd ce parfum. (Là encore je suis restée sans paroles, je lui ai dit “merci” et je n'ai plus posé de questions).
      Très cordialement,
      Sara

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    3. Ma chère Sara, je suis en état de choc...
      Je comprends mieux pourquoi je n'ai Jamais accroché avec les parfums du dit parfumeur... Oh Mon Dieu... Autant de mépris pour le public et Le passé de la parfumerie réuni en une seule personne, c'est un peu fort quand même. Heureusement que toute la profession ne pense pas comme lui. Prions pour qu'il se cantonne à sa propre marque et qu'il n'entre jamais dans une vénérable maison comme Guerlain.
      Merci de nous avoir fait part de ses propos!

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