orient extrême

 « Et la femme qu’en levant les yeux bien haut on distinguait dans cette pénombre dorée, prenait, dans cette nuit où l’on était perdu et où elle-même semblait recluse, le charme mystérieux et voilé d’une vision d’Orient. »

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, le temps retrouvé, 1927.

Cinnabar, Estée Lauder.
Il est fort regrettable que Cinnabar soit toujours remis en perspective, comparé à ses aînés Youth Dew et Opium, car ce beau parfum mérite d’être aimé pour lui-même. Il est le plus exotique et le plus tenace qu’il m’ait été donné de porter. La formule est simple, centrée sur les notes de fond, à l’inverse de beaucoup de parfums actuels qui ne sont que départ. Tout en Cinnabar tourne autour des résines, des ambres et des baumes, les fleurs et les épices ne semblent présentes que pour mettre ce fond, très signé Lauder, en valeur. (Ce qui explique sa ténacité incroyable.) Cinnabar parle d’Orient, d’Orient extrême, un Orient chimérique, onirique, très littéraire.

Cinnabar évoque des citées interdites habitées par les fils du ciel et leurs vénéneuses concubines, des dragons, des créatures célestes, de vaillants guerriers défendant les dieux de leurs ancêtres, et un mystérieux bloc noir d’origine inconnue au parfum suave qui serait la source de tout pouvoir et de toute magie. C’est un parfum qui plonge dans le mythe, dans une littérature fantastique mêlant joyeusement les références. Le fait d’être démodé, terriblement parmi tous les sirops actuel, en accentuant son exotisme jusqu’à l’étrangeté, le rend encore plus intéressant. À vous de voir si dans votre heroic fantasy personnelle vous voulez lui donner le rôle du méchant ou du gentil.


Cinnabar, Bernard Chant pour Estée Lauder, 1978.

Commentaires

  1. Bonsoir Dau,

    Je suis très contente que vous parliez de Cinnabar. Il a été parmi mon tiercé gagnant, pendant ma décennie allant des 20 aux 30 ans environ : il partageait mes faveurs avec Opium et Youth Dew justement. Seulement, Opium n'est plus que l'ersatz de lui-même et la "rosée de jeunesse" me pèse maintenant un peu lourd sur l'estomac.. Mais Cinnabar continue à avoir mes faveurs, d'autant plus qu'il a un prix dérisoire par rapport aux autres productions et nouveautés bien médiocres, surtout lorsqu'on les compare à la tenue de Cinnabar.... Grâce à lui, j'ai pu continuer à sentir bon malgré malgré ma période "vaches maigres" de ma décennie suivante. Je trouve que c'est un peu le mal aimé de la parfumerie, on n'en parle pas souvent alors que je trouve qu'il n'a pas trop souffert de la reformulation, contrairement à un Opium ou un numéro 5 qui sont devenus "bien propres sur eux".

    Dans ma Chine d' héroïc fantaisy, il me fait penser à l'Impératrice Wu Ze Tian dans le film "Détective Dee et le mystère de la flamme fantôme": pas gentille du tout, mais quel allure ! Surtout que devenir impératrice dans une Chine féodale dominée par les hommes, alors que l'on était au départ une toute jeune fille à peine pubère conduite "toute crue" au bon plaisir du Fils du Ciel, il fallait en avoir....

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  2. Oui, mal aimé ou même ignoré. Pourtant, même reformulé, il en remontre à beaucoup: certains ambres de niche paraissent franchement pâlots et fadasses à côté de lui, moins construits, moins étranges, beaucoup plus conventionels (un comble pour la niche et son argument: "nous osons") et moins tenaces, car effectivement, Cinnabar est assez monstrueux de ce côté là: il résiste à la douche et s'accroche comme un damné sur les tissus. Tout ça, effectivement pour un prix raisonnable. Et j'avoue que son manque de popularité ne me gêne pas trop, ça me donne le sentiment d'une certaine exclusivité quand je le porte. Il faut vraiment en parler. Au parfum en à joliment parlé il n'y a pas longtemps non plus (http://www.auparfum.com/cinnabar#.VEn3OdKqnWw), et je crois que c'est tout le vieux catalogue Lauder qui mérite largement d'être remis à l'honneur.

    Pour Youth Dew, j'avoue, moi non plus, je ne me sens plus la carrure. Même s'il est magnifique...

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  3. Vous me faites un peu peur avec cette histoire de carrure...moi qui vient de commander un coffret de Youth Dew: EdP, crème satinée, savon et poudre. Une commande à l'aveugle mais un risque limité puisque le prix était très raisonnable. Il me reste à sentir Cinnabar et Aromatic Elixir, remettre le nez sur Azurée et Estée et attendre le froid glacial pour ressortir White Linen (combattre le froid par le froid dans ce cas-ci)...Ils sont vraiment intéressants les Lauder, mieux distribués au Québec qu'en Europe, mais malgré tout un peu snobés, parce qu'ils sont américains sans doute (c'est idiot, je sais).

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  4. Toutes mes excuses, lorsque j'ai écrit Aromatic Elixir, je pensais plutôt à Private collection. Le premier, de Clinique, malgré son départ joli et prometteur, s'effondre totalement et ne laisse qu'une vague odeur indéfinie et peu intéressante. En résumé, ma peau ne l'aime pas celui-là, ce qui arrive rarement avec les chyprés, mais cette famille olfactive est si vaste que l'osmose ne peut être toujours au rendez-vous. Reste à voir, plutôt à sentir, le verdic de mon épiderme lorsque Youth Dew arrivera.

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  5. Bonjour,
    Oui, les Lauder sont probablement mal aimés parce qu'américains, une raison idiote! Pour un film, Hollywood fait rêver pour un parfum New York n'est pas glamour... Bon, ok. et en plus ils ne sont pas très chers. (Alors que la qualité est au rendez-vous.) Tant mieux pour nous si nous pouvons être originaux à moindre frais. ;-)
    Les épaulettes sont bien là, mais dans un esprit Joan Crawford plutôt que carriériste années '80. Reste que ces parfums ont souvent une stature imposante. Comme Opium, mais en l’occurrence, on ne demande pas vraiment à un oriental d'être très discret en général. Clairement pas des parfum de peau.

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