incultures

"parce qu’il avait la prétention d’être un esprit et moderne…"

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, le côté de Guermantes, 1922.

L’un vous parle d’œillet  et n’a jamais entendu parler de Bellodgia, l’autre avoue n’avoir jamais senti Tabac Blond et la troisième attribue joyeusement Miss Dior à Edmond Roudnitska. Sans oublier celui qui fait une conférence sur les notes animales et ne connait ni d'Eve ni d'Adam le bien nommé My Sin. Voici les dernières nouvelles de nos amis les nez.

Les nouvelles sont donc consternantes. Oui, vraiment, je ne peux qu’être consterné par tant d’inculture. Certes, la bonne nouvelle est leur absence de cynisme et leur enthousiasme sincère : ils croient vraiment avoir fait une trouvaille, faire preuve d’originalité, avec un accord déjà vu et revu, plutôt plus mal traité d’ailleurs. Ah oui, c’est un peu difficile de sortir un joli cuir quand on connait les classiques du genre, mais ça éviterait peut-être à la clientèle éduquée des déconvenues. Parce que s’extasier sur une note de cuir noyée dans la vanille, j’avoue que c’est un peu au-dessus de mes forces.  Et ne pas rire aux nez de gens qui trouvent tellement original les bois ambrés en fond d’un frais plutôt qu’une mousse de chêne chyprée traditionnelle, j’ai du mal.

carnet Moleskine et plein de touches partout...
Parce que oui, comme beaucoup d’autre, comme vous, je m’informe, je cherche à sentir les classiques, à les découvrir sous leurs formes les plus originelles possibles pour me faire une toute petite culture et parce que c’est beau. Pourtant, ce n’est pas facile, je ne suis pas parisienne, ça me gêne, ça me gêne. Et j’ai un boulot, une vie aussi et ce genre de chose prend du temps. Mais j’aime le parfum.

Et je crois à la tradition, à son importance. Je crois qu’on vit mieux, qu’on apprécie mieux et qu’on crée mieux en connaissant le passé. On ne refait pas les mêmes erreurs, on s’évite des tâtonnements et des errances. Et on arrêterait peut-être de crier au génie à la 23ème rose-patchouli sortie cette année Oui, bien sûr, ce sera un peu inconfortable de découvrir tout un monde qui ne vous a pas attendu et ça vous fera relativiser vos traits de génie qui n’en sont pas toujours,  mais vraiment les gars, arrêtez l’autisme et sortez de votre tour d’ivoire, vous vous apercevrez qu’elle est en PVC non recyclable. Et franchement, c’est un peu moche.



Commentaires

  1. Quelques pschitts de Blooming Bouquet sous les aisselles et un demi-guronsan devraient venir à bout de cette mélancolie passagère, je suppose.

    RépondreSupprimer
  2. Bonjour Dau
    Votre billet dépasse largement le cadre de la parfumerie. C'est le travers de notre époque : on veut aller trop vite, sans prendre la peine d'apprendre d'analyser ou d'étudier les bases et les fondamentaux. C'est valable pour toutes les formes de d'art ou de créations, que ce soit la peinture, la littérature ou la mode. J'ai eu longtemps un a priori négatif envers l'art abstrait, jusqu'à ce que je découvre les dessins que faisait Mondrian quand il était enfant ou étudiant aux beaux-arts : pas de doute, il avait un sacré "coup" de crayon impressionnant pour son jeune âge, il maîtrisait son geste et il avait intégré les grands maîtres avant lui. Même chose pour les dessins adolescents de Munch, Picasso, Kandinski ou Bacon : ils avaient maîtrisé l'art des grands avant eux avant d'explorer de nouvelles formes d'expression. Dans l'émission "La Grande Librairie" de François Busnel sur le polar en Angleterre, Ian Rankin affirmait qu'il n'y avait pas de secret : si vous voulez devenir écrivain, même d'un genre que certains peuvent considérer comme mineur comme le polar, il n' y a pas de secret, il faut lire, énormément lire. Et c'est parce que Jasper Fforde maîtrise les classiques anglais comme Shakespeare ou les Soeurs Brontë qu'il a pu inventer un nouveau personnage de polar aussi original.
    Ajoutez des histoires de gros sous et de rentabilité comme peut générer l'industrie du parfum, sans compter qu'il ne faut pas se voiler la face, les marques de niches lorgnent du côté de la clientèle aisée du le Moyen-orient ou les nouveaux riches russes, pour faire le millionième accord oud-rose et cela vous donne le phénomène que vous décrivez dans votre billet. Voilà. J'ai été bien bavarde, j'ai dépassé le cadre du parfum, mais votre "coup de gueule" m'a inspirée...
    Très bonne journée à vous.
    Cécile

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je suis ravi que vous soyez bavarde et inspirée, je ne m'en lasse pas et je suis bien d'accord. Oui, effectivement, le problème est bien plus large que celui de la parfumerie. Il est évident que partout les classiques sont négligés, oubliés... On se souviendra des mots de Sarkozy à propos de l'étude de la Princesse de Clèves et des études littéraires en général... Cela donnait assez bien le ton (navrant) d'une époque....

      Supprimer

Enregistrer un commentaire