par goût personnel

"...la princesse eut pour nous tous un divin sourire qu’elle sembla amener du passé, des grâces de sa jeunesse, des soirées de Compiègne et qui coula intact et doux..."

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, à l’ombre des jeunes filles en fleurs, 1919.


Les maisons n’aiment pas reconnaître qu’elles ont suivi des modes, qu’elles n’ont pas tout inventé. Regardez Chanel et sa "petite robe noire" de 1927… Bien avant, on trouve, chez Proust, ce personnage de femme toujours habillé d’une robe noire, parce qu’elle "croyait qu’en noir on était toujours bien." Mais la légende Chanel veut que Gabrielle fût l’unique inventrice de cet uniforme. Pareillement, chez Guerlain, Liu est un souci. On lui invente mille et une légende, mille et une anecdotes, toutes assez jolies, mais rien n’y fait, votre nez ne vous ment pas, Liu s’inspire du N°5. Et pas qu’un peu. Liu suit la mode des années ’20 et Guerlain, comme toutes les maisons a dû avoir "son" N°5. Quoi ? Jacques n’aurait donc pas tout inventé ? Il lui serait arrivé de s’inspirer de… OMG ! Shocking !

Personnellement, je n’ai jamais cru à l’invention ex nihilo. Liu ne me choque donc en rien. Pas plus que de découvrir au fil de certaines lectures que Jacques Guerlain s’est inspiré de certains parfums de François Coty. Je ne suis pas un tenant de la création pure, hors de tout contexte, je crois au contraire à l’importance de la tradition, je crois qu’il est bon d’avoir un socle, une base. Et je crois aussi qu’il faut être dans l’air du temps. Liu est peut-être la version 1920 de La Petite Robe Noire, l’actuel succès, celui qui s’inscrit dans son époque, en retranscrit les goûts, goûts qu’elle n’a pas initiés, peut-être, qui font d’elle un parfum à la mode, un parfum qui se vend, qui fait tourner la boutique et qui sera peut-être dans quelques années, pour les amateurs, une part du patrimoine maison chère à leur cœur.

Liu est donc une énorme brassée d’aldéhydes, joyeux, savonneux, poudreux, un peu métalliques. L’atmosphère des années folle est bien là, saturée d’aldéhydes, très "Chanel", juste comme j’aime. Plus que l’actuel N°5 d’ailleurs. Ensuite, le bouquet floral et le fond boisé-ambré. Terriblement classique. Et terriblement Guerlain. Assez vite, le fond vanillé est présent, chaleureux, enveloppant, le bouquet, dominé par la rose et irisé, est incontestablement romantique.

Jacques Guerlain  n’a pas fait "son" N°5, il a fait quelque chose de bien plus personnel, un parfum charmeur et élégant qui est assez loin de la présence triomphante, imposante, presque menaçante, que peut avoir le Chanel. Le Guerlain est incontestablement plus conventionnel, plus réservé, plus poli également. Et plus délicat, romantique : au tweed, il préfère la soie et en dépit de la brutalité pressée de l’époque chantée par Paul Morand et les expressionnistes, on sent qu’il regarde en arrière, recherchant les délicatesses surannées du passées, vivant dans son décor Art Déco en conservant la nostalgie des époques révolues.


Curieusement, ce qui dessert Liu, c’est ce qui fait sa beauté et son intérêt : sa complexité et sa subtilité cultivée font un peu pâle figure à côté des autres grands représentants du genre et lui donne une aura plus démodée. Mais cette aura est tout à son honneur, elle est ce qui fait que ses fidèles lui restent fidèles, elle en fait un parfum auquel on s’attache et qu’on porte par goût personnel. Et, dans le fond, moi, je suis un romantique.

Liu, Jacque Guerlain pour Guerlain, 1929.

Commentaires

  1. Mon cher Dau,
    Il y trois ans mon éditeur (Miguel Angel de Rús, Ediciones Irreverentes, MAR editor) avait idée de faire un livre intitulé "Paris" avec des histoires inventées, ou pas, sur cette ville. Je lui proposai l'histoire de la création du parfum Liu de Guerlain. Cette histoire, avec d'autres, a été publiée par la maison d'édition MAR editor (Madrid) dans un volume paru en mars 2012. Je vous envoie à votre adresse e-mail le texte intégral de mon récit sous format pdf. Evidemment le texte est en espagnol; si par hasard vous comprenez un peu ma langue maternelle ou si vous avez un ami qui puisse vous traduire le texte j'espère que vous allez aimer ce récit inventé mais plausible. Et si vous aimez beaucoup je peux faire une traduction.
    En tout cas c'est la faute à la maison Guerlain à Madrid: quand j'ai humé pour la première fois Liu j'ai cru reconnaître presqu’immédiatement Chanel 5, la vendeuse qui m’aidait et à qui j'ai fait la réflexion, m'a répondu que sûrement Chanel avait volé une formule de la maison Guerlain, c’est ce qui a poussé mes recherches sur ce parfum excellent.
    Très cordialement,
    Sara

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  2. A nouveau,
    Je relis votre texte sur Liu et je me rends compte que nos impressions ne diffèrent pas beaucoup. Mes conclusions sont similaires.
    Très cordialement,
    Sara

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  3. Bonjour,

    Vous voyez et sentez juste Dau ;)

    Il y'a une similarité évidente entre Liu et le N°5, beaucoup d’éléments en commun (avec Arpège aussi ;)

    Selon la légende, Ernest Beaux et Jacques Guerlain se côtoyaient et Liu serait une réponse (amicale) à la Guerlain aux aldéhydes du N°5.
    Beaux admirait le talent de Jacques qui avait signé Shalimar quatre ans après le N°5.
    Beaux aurait dit que s'il devait "copier" Shalimar il n'aurait fait qu'une crème anglaise sans relief. Ensuite, un jeu serait né entre les deux nez d'où un challenge pour Jacques Guerlain que de travailler les aldéhydes et de s'inspirer du N°5. Reste à savoir ce que Beaux à pensé de Liu...
    Avec le temps, et jusqu’à aujourd’hui encore, les notes aldéhydées sont plus dans l'ADN de Chanel que de celui de Guerlain.

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    1. Je connais cette anecdote: il parait que le vainqueur aurait eu le droit de commercialiser sa trouvaille... Mais enfin, nous ne sauront jamais laquelle des légendes est la bonne. Et s'il y en a seulement une qui soit authentique. Dans le fond, ce n'est pas très intéressant de savoir. La multiplicité des légende forme une belle histoire en soi et je m'en contente.

      C'était une époque de grands talents et qui nous a laissé quelques beaux parfums (Je suis un énorme fan d'Arpège), mais j'avoue que j'ai quand même une petite préférence pour le plus tardif Véga qui semble un peu décollé du N°5, mise moins sur l'aldéhyde comme thème principal et plus l'intégre à la composition. (Ceci dit, j'adore Liu!)

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    2. Oui, j'adore aussi Liu (meme si je prefere le sentir que le porter).
      J'ai un vintage extrait d'Arpège et cette claque de civette en ouverture m'a bien troublé au debut (oui, j'aime aussi la civette :) mais maintenant je la trouve tout à fait a sa place dans ce bouquet poudré.

      Vous connaissez Crescendo?
      C'est un peu comme Arpège en moins aldéhydé mais plus boisé baumé.

      Et si vous aimez Véga, quelque chose me dit que vous allez adoré Fleur de Feu...
      (teasing...)

      A bientot Dau

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    3. Plus troublant qu'Arpège, il y a My Sin... Là, les aldéhydes n'arrive pas à cacher que la dame vient de se livré à des jeux que la décence interdit de mentionner. D'ailleurs, je suis toujours surpris de penser que la si respectable Jeanne Lanvi, avec sa mode si sage laissa mettre son nom sur un tel parfum!

      Le teasing fonctionne très bien avec moi, c'est particulièrement vil!

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    4. Je confesse! Le teasing ca sera pour la bonne cause et je suis sur que Fleur de Feu va vous allumer (si je puis me permettre...)
      Oh, My Sin, le bien nommé! On l'oublie souvent celui là.
      Comme le N°22...
      La décadance ca a du bon, ca devait donner dans les années 30!

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