"J’ai été là-bas, il y a un mois, au moment où les lilas étaient en fleurs, on ne peut pas se faire une idée de ce que ça pouvait être beau."
Marcel
Proust, à la recherche du temps perdu, le côté de Guermantes, 1922.
Le
printemps est ma saison préférée. Depuis toujours. Ça doit être l’atavisme
paysan qui se réveille chez le citadin que je suis, mais le réveil de la nature
me met particulièrement en joie, alors que je suis plus ou moins insensible à
la poésie des autres saisons. J’aime plus que tout la lumière bleutée des
matinées claires, les rayons du soleil qui viennent enfin nous réchauffer, et
la nature qui met ses habits de fête, se fleurissant, se colorant, se parfumant…
Au
printemps, cependant, se passe un étrange phénomène d’aliénation de ma personnalité :
durant deux à trois semaines, parfois un mois, la blonde en moi si libère et ne
me fait aimer que les teintes pastels, les grâces délicates des fleurs pâles et
diaphanes, dans un univers à mi-chemin entre la Comtesse de Ségur, bibliothèque
rose, et Marie-Antoinette, version Sofia Coppola. Toutes choses que je repousse
d’un geste ferme le restant de l’année. Longtemps, c’est le Jardin Clos de Dyptique qui m’a réjoui
en ces moments-là, en déclinant toutes les nuances de bleu de la jacinthe et en
les mariant au mauve des lilas, un véritable jardin anglais, où la main de l’homme
a reproduit artistement la nature en lui adjoignant un peu de poésie. Un parfum
parfait pour lire et relire Jane Austen, le parfum qu’on aimerait sentir, le
paysage qu’on aimerait découvrir lorsqu’on sort, bien habillé, se chauffer aux
premiers soleils, à l’abri du vent. Hélas, il est discontinué. Discontinuée
aussi, je viens de subir le traumatisme de cette découverte, la bougie Lilas,
qui transformait mon appartement en jardin, et qui donnait des lilas une
interprétation moins éthérée et plus sensuelle, avec un fond un peu plus sale
qu’on aurait pu le croire. Mais après tout, une fleur est un organe sexuel, n’est-ce
pas ?
Il y a En Passant d’Olivia Giacobetti pour
Frédéric Malle qui me tente chaque année, parce qu’il est stupéfiant de
réalisme, c’est véritablement la bouffée de lilas portée par le vent, au point
que je me sois dit en traversant le Jardin Botanique de Bruxelles que ça
sentait En Passant, avant de réaliser que j’étais à côté d’un bosquet de lilas.
La nature imite l’art ! Mais enfin, je me retiens, je lui tourne autour,
ne l’aimant vraiment que deux semaines par an, vivant d’échantillons qui me
suffisent.
Autre tentation,
Bluebell, la jacinthe de Penhaligon’s,
dont j’aime les nuances vertes et terreuses de printemps un peu âpre. Ce serait
le moment aussi de porter Anaïs-Anaïs
le parfum jeune fille par excellence de Cacharel et son lys timide, un peu
cheap, mais tellement régressif quand on a connu sa grande époque, celle où il
embaumait toutes les cours de récréation, cadeau premier parfum obligatoire
pour toutes les jeunes filles. Même genre : L’Air du Temps, vintage, joli œillet par Nina Ricci, cependant un
peu plus dame. Lui, je l’adore parce que j’aime l’œillet, bien sûr, mais aussi
pour son comportement : il sait être présent, se faire sentir, avoir du
sillage et de la présence tout en restant extrêmement léger, ça lui donne une
vraie modernité en lui évitant les piège du gras, du lourds, qui peuvent
plomber un parfum et le vieillir. D’ailleurs, l’Air du Temps, je peux le porter
quasiment toute l’année. J’adore particulièrement en profiter lorsque je pars
en ballade, il me semble beaucoup plus un parfum de promenade qu’un parfum de
boudoir.
Autre chéri
du printemps : Miss Dior. (Mais
comme l’Air du Temps, je l’aime toute l’année.) Ce beau vert qui se
fleurit, se poudre (plus ou moins selon
les millésimes) et se réchauffe avec son fond de chypre, correspond vraiment à
un beau temps avec fond de l’air un peu frais. Comme peut d’autre, il me donne
une impression de chic altier, un peu couture, terriblement rétro. C’est l’un
de ceux dont je stocke les flacons, que je continue, achat après achat, à traquer
dans ses versions anciennes. Il sait se faire à la fois léger, aérien, et plus
grave, plus posé, mariant le charme de la jeunesse à une élégance un peu plus
hiératique. C’est un classique, une construction
très classique, mais c’est loin d’être ampoulé, pompeux, ou vieilli. Miss Dior
incarne le charme, il mérite vraiment la redécouverte. Et dans le fond, si je
le porte de préférence à beaucoup de nouveauté, c’est aussi par devoir de
mémoire, pour le faire vivre encore un peu, en dépit de la politique de LVMH
qui l’assassine peu à peu. Pour qu’on puisse encore le sentir, que son sillage
n’ait pas définitivement quitté nos rues. Parce que j’aimerais, moi aussi,
pouvoir le sentir à l’improviste, en passant, exactement comme il m’arrive de
sentir une bouffée de lilas.
Ca tombe bien, je suis en train de relire Persuasion, mon préféré de Jane Austen avec Orgueil et Préjugés.... Et je regrette de ne pas avoir connu le Jardin clos de Diptyque, au vu de ce que vous en dites ! Pour moi aussi, le printemps est ma saison préférée. Dans ma rue de banlieue parisienne, il y a des pruniers du Japon de chaque côté et de voir leurs pompons roses pâles se détacher sur le ciel bleu azur cette semaine me rendait plus légère : ma ville était moins laide d'un seul coup. Le fond de l'air encore frais nous vivifie, on a l'impression alors que l'on a vécu la moitié de sa vie de redevenir un adolescent, là où tout était encore possible... C'est pour cela que j'aime remettre Chamade à cette période, parce que j'ai l'impression que mon coeur s'est remis à battre.
RépondreSupprimerAu printemps j'associe Diorissimo et sa débauche de muguet, la première eau de toilette que mon Papa m'a offerte. J'associe aussi Diorella, du temps où il avait une âme (le pauvre Edmond Roudniska doit se retourner dans sa tombe si il voit ce qu'on a fait à ses parfums...). J'avoue être une grande fan du grand Edmond, entre Femme, le Parfum de Thérèse, Diorissimo et Diorella.
Je ne mets pas l'Air du temps mais j'ai une affection particulière pour ce parfum. C'était celui de mon ancienne chef. Pour aller à son bureau, on devait emprunter un long couloir, et l'Air du temps nous précédait. Du coup, les "avoines" qu'on pouvait avoir passaient mieux...
Pauvre Edmond, oui! Lui qui détestait la parfumerie au relents alimentaires en plus! Je crois que s'il voit notre époque, il doit pleurer. Diorissimo, je ne peux pas, je n'aime vraiment pas le muguet, mais il parait qu'une des versions est encore joli. Ça et Eau Sauvage qui n'est pas encore massacrée, c'est tout ce qui reste de fréquentable chez Dior, hélas. Pour le reste, passons notre chemin.
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