the absolutely not fabulous '90

"À quoi bon venir sous ces arbres, si rien n’est plus de ce qui s’assemblait sous ces délicats feuillages rougissants, si la vulgarité et la folie ont remplacé ce qu’ils encadraient d’exquis."

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, à l’ombre des jeunes filles en fleurs, 1919.

C’était mieux avant, oui, mais avant quoi ? J’avoue que j’arrive à dater précisément ma nostalgie, mon spleen, le moment de rupture. Bien sûr, au début, j’ai cru que j’allais me remettre, que l’époque allait se remettre, mais je suis bien forcé de constater que la fracture à belle et bien eu lieu et que je suis incapable de recoller les morceaux, de coller à nouveau avec l’époque. Je n’en ai ni le courage, ni l’envie…

J’avais adoré les années ’80. Bien sûr, elles étaient consuméristes, superficielles, et vulgaires. Mais il y avait une énergie, une créativité et un sens du plaisir, même s’il était un peu trop frénétique que pour être parfaitement sincère. On n’avait l’impression de danser sur un volcan, que tout allait sauter, mais au moins on dansait. Sont arrivées les années ’90. Et pour moi, ce fut le drame : tout d’un coup, le glamour était hors-jeu, le règne du grunge et du politiquement correct commençait. La mode n’était plus à la mode. Il fallait avoir l’air de miséreux et de pauvresses à la pensée formatée, tout est soudain devenu inintéressant, insipide et incolore. Inodore aussi.

Les parfums emblématiques de cette époque ne faisaient pas de vague. À retenir surtout : CK one. Waw. Le parfum qui ne gêne pas, ne fait pas de vague. À peine un parfum. Une cologne. Sympathique mais dépourvue de personnalité, de présence, le genre de chose qui n’a ni sexe, ni personnalité. Le genre de chose qu’on porte quand on n’a envie de rien porter, juste de sentir le propre. Le propre, cette obsession puritaine qui s’est imposée à tous. Pas de sillage. Ou très peu. Le parfum est admis au bureau à condition de ne pas sentir, d’être tellement lisse qu’il ne donne prise à rien. À retenir aussi, l’insupportable Calone qui pouvait donner des effets intéressants mais s’est muée en monstre qui ne laissait place à rien d’autre, noyait tout dans ses embruns, c’était elle la molécule-star de la décennie. Oubliée la sexualité, indécente, offensante, oubliée l’élégance, trop socialement discriminante, la mondialisation nous voulait uniformisés, lissés, décérébrés…

J’ai survécu grâce à la sortie de Féminité du Bois chez Shiseido. Forcément, il y a eu aussi  l’extraordinaire développement de la niche, parfums cachés, matos de contrebande. Et comme dans la mode, l’amour du vintage : puisque l’époque était laide, voulait nous faire porter de la fripe, de plus en plus de gens se sont tourné vers d’autres époques, non plus en inspiration comme Saint Laurent pour sa collection Libération, mais en authentique. Un pied de nez à la réinterprétation affadie, à l’appauvrissement de l’imaginaire. On s’est soudain mis à fouiller les greniers, les caves, à trouver refuge dans notre passé, celui de nos parents, sans nostalgie, mais plutôt pour faire vivre une forme de beauté ancienne, condamnée parce que dépassée, plus à la mode, trop ci ou ça dans une époque qui n’aimait pas le trop. Depuis, rien à faire, je n’ai jamais vraiment réussi à réintégré mon époque.


absolutely fabulous, la série anglaise déjantée.
Sinon, Dieu merci, dans ces années-là, nous avions aussi Absolutely Fabulous, la série culte. Ça, c’était bien !

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