séducteurs

"Quoique chacune fut d’un type absolument différent des autres, elles avaient toutes de la beauté ; mais à vrai dire, je les voyais depuis si peu d’instants et sans oser les regarder fixement que je n’avais encore individualisé aucune d’elle."

Marcel Proust, à l’ombre des jeunes filles en fleurs, 1919.

Les roses-Patchouli/oud ont de forts airs de famille, forment une masse assez indistincte comme la petite bande des jeunes filles en fleurs, qu’on peut aimer toutes ensembles, passant de l’une à l’autre sans vraiment fixer son choix… C’est l’un des accords de l’époque, une odeur qui flotte autour de nous, que nous retrouvons ici et là, l’alternative luxueuse aux sucreries cheap qui nous environne. À vrai dire, je ne suis pas très amateur de l’accord, que je trouve pourtant beau et intéressant, mais absolument importable pour moi, peut-être parce que je le trouve lourd, sombre.

Pierre Guillaume donne sa version de cet air du temps avec Isparta. Quelques fruits rouges annoncent une jolie rose rouge dépourvue des aspects les plus sombres, une rose transparente, mais bien présente, point d’évanescence, douce mais sans excès, un rien cosmétique. Le fond oud fait assez rapidement son apparition et se fond avec la rose. La signature sucrée de Pierre Guillaume est bien présente : alors qu’elle peut parfois m’agacer, en tirant les compositions vers la pâtisserie, ce qui peut être joli mais ne me plait pas, je trouve qu’elle est ici particulièrement bien venue. L’accord rose-oud qui peut-être si dramatique (Je pense à Portrait of a Lady, vous y penserez aussi), est adouci, rendu bien plus confortable tout en gardant sa patine luxueuse et sensuelle.

Alors, cette rose-oud/patchouli de plus, indispensable ou pas ? Vu le nombre de sorties, on a toujours tendance à se demander si les nouveautés sont justifiées et à donner son avis en dépit du bon sens. Personnellement, je dirais volontiers que non, qu’il y a bien assez de parfum de ce genre, alors que je suis prêt à trouver merveilleuse une Xème variation infime sur le thème floral aldéhydé sous prétexte qu’il n’y a jamais assez de floraux aldéhydés. En vérité, je n’aime pas beaucoup l’accord rose-oud et je trouve que le monde aurait magnifiquement continué à tourner sur lui-même si cet accord n’avait jamais vu le jour. Mais je trouve la forme belle lorsque je suis un peu objectif et je trouve qu’Isparta à sa place sur le marché, tient son rang. Pourquoi celui-là plutôt qu'un autre? Question de goût, le vôtre, à moins que vous ne soyez un intransigeant du "premier sorti-version originale" à tout prix, auquel cas vous devez être bien désorienté et mal à l'aise dans notre époque de flankers et copies à gogo. 

Ce parfum, je l’ai porté et il développe un beau sillage, possède une tenue d’enfer. Il s’accroche particulièrement bien sur les tissus, tient des jours. C’est un piège à compliments : on vous dit que vous sentez bon, on vous demande ce que c’est… Forcément, ai-je envie de dire, les compliments arrivent plus facilement avec un parfum qui a une vraie présence, un vrai sillage. (Sous ce rapport, Isparta s’avère être un investissement judicieux.) C’est d’ailleurs ainsi que Pierre Guillaume le présente, en suggérant de le porter généreusement et en attendant de voir les effets se produire. J’avoue que cette méthode n’est pas la mienne, j’aime le parfum en soi, pour lui-même et ne l’ai jamais porter qu’en égoïste qui ne pense qu’à son bon plaisir en se moquant de l’opinion d’autrui. Dans le fond, je ne dois pas être un séducteur. Ce qu’est assurément Pierre Guillaume et son parfum est aussi un grand séducteur. À vous de savoir ce que vous voulez et d’assumer. 




Isparta, Pierre Guillaume pour Parfumerie Générale, 2014.

Commentaires

  1. Bonjour Dau
    Suite à votre conseil, j'ai réussi à me procurer un échantillon de "Portrait of Lady". Je dois vous avouer que je ne peux pas : ce parfum est tou much pour moi.... Pourtant, allez savoir pourquoi, je ne renonce pas. Et la description que vous faites de Isparta me donne envie de le tester. On m'a aussi conseillé Rose poivrée de The Different Company. Je ne sais pas pourquoi, alors que la rose ou le oud ne sont pas du tout ma tasse de thé, je suis complètement obsédée par un accord rose musquée...

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    1. POAL, je ne peux pas non plus. Beau, bien fait, tout ça et plus encore, mais impossible pour moi de le porter. Pourtant plusieurs personnes m'ont déjà dit qu'elles me verraient bien avec, que ça m'irait bien. Mai rien à faire, pour moi, c'est non. Pour ce qui est des obsessions étranges, je ne vais pas aider: je suis leur victime et je ne les comprends pas plus...

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  2. Bonjour Dau,
    Alors que je trouve, que je sens que "Portrait of a Lady" est d'excellente facture, sur moi il est importable car il devient lourd, très lourd, il en est de même pour presque tous les duos rose-patchouli ou rose-oud. Cependant il est vrai que ce sont des odeurs qui vont très bien aux hommes bruns dont la peau est naturellement grasse, ces hommes qui bien des fois ne portent pas de parfum parce que leur odeur à eux est déjà suffisamment puissante. C'est peut être le cas de bien des madrilènes dont la peau sent sucrée-salée-métallique (ils sentent un peu le sang de façon naturelle), dans ces cas je conseille toujours de tester la rose-patchouli-oud et les résultats sont extraordinairement plaisants pour eux et pour les autres.
    En tout cas je vais tester Isparta dès que disponible à Madrid et je vous donnerai mon avis.
    Très cordialement,
    Sara

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    1. Je suis entièrement d'accord, cette Lady est peut-être bien plus masculine que féminine. Brune, ténébreuse et rasée de frais? :) Lourd, très lourd, effectivement, pour moi aussi: c'est vraiment le parfum dramatique par excellence que je n'aurais envie de porter pour rien au monde.

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    2. Bonjour !
      même chose pour moi. Je l'ai senti toute la soirée de samedi sur une femme qui était dans la même soirée que moi. Une puissance qui dérange et un côté "monolithique", comme un manque de souplesse et d'adaptation à une peau. Il prend le pas sur la personne qui le porte et l'écrase. Même si,...
      Hélène

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