"Je venais de la voir, passant entre une double haie de curieux qui, sans se rendre compte des merveilleux artifices de toilette et d’esthétique qui agissaient sur eux, émus devant cette tête rousse, ce corps saumoné émergeant à peine de ses ailerons de dentelle noire, et étranglé de joyaux, le regardaient dans la sinuosité héréditaire de ses lignes, comme ils eussent fait de quelque vieux poisson sacré, chargé de pierreries, en lequel s’incarnait le Génie protecteur de la famille Guermantes."
Marcel
Proust, à la recherche du temps perdu, le temps retrouvé, 1927.
Mitsouko, Guerlain parfum de toilette, 1993 eau de parfum, 2013 |
Mitsouko
est comme la Duchesse de Guermantes du temps retrouvé : un souvenir de la
splendeur passée, un symbole auquel on s’accroche. Il n’y en a plus guère des
comme lui, aussi hautain, aussi complexe, aussi brillant. Il est toujours resté
un peu dans l’ombre, derrière la maternelle Heure Bleue et le sensuel Shalimar,
semblant refuser de se confondre avec eux, refusant de plaire immédiatement,
exigeant l’attention et le respect qui lui sont dus avant de se donner.
Les années
n’ont pas toujours été tendres avec lui et le début du siècle lui a fait du
tort, tort aujourd’hui réparé, mais il avait été réduit à l’état de fantôme,
pâlis, délavé, lui qui incarnait la richesse et la profondeur. Comme ceux qui
me suivent sur les réseaux sociaux le savent, je suis l’heureux possesseur d’un
parfum de toilette vintage, daté de 1993, soit la formule que j’ai appris à
connaître, à aimer, avec sa belle intensité. Bien sûr, elle est un peu altérée,
le départ est un peu moins vif, on entre plus vite dans le cœur du parfum, la
mousse de chêne est bien présente. Le vintage est sombre et dense, terriblement
fort. Je ne veux pas dire par là qu’il sent fort, qu’il diffuse
particulièrement bien, non, plutôt qu’il émane de lui une impression de
puissance, une force calme et contenue, impressionnante. Les bois, la mousses
sont sombre, presqu’inquiétant, cette version de Mitsouko porte bien son nom de
"Mystère", on sent qu’elle cache une part d’ombre, un secret.
Plutôt que le sous-bois, on pense à la fôret mythique, celle qui abrite, qui cache,
qui masque. Et soudain, monte la note ancienne, celle qui trouble, l’odeur
chaude de la chair vivante. Une senteur de peau presque indécente, cette
senteur qui me fait toujours un peu reculer à l’idée de porter Mitsouko, parce
qu’elle me donne cette impression d’être mis à nu, littéralement, dans une
totale impudeur.
Mitsouko, Guerlain, parfum de toilette |
Ce
Mitsouko, c’est peut-être pour moi le plus authentique, celui des années ’20 et
de la garçonne. Exigeant, affirmant, prenant. Mains sur les hanches maigres,
menton levé, c’est une attitude de défi. Une volonté de plaisir pris, sans
demander de permission, une indépendance. Un affranchissement, parce qu’une
telle attitude est souvent le fait de ceux qui ont connu le poids du joug et
mesure l’importance de cette liberté enfin obtenue.
Le Mitsouko
actuel est bien plus rond, plus doux, plus policé. Il est la pêche et le
sous-bois, traversé d’une belle lumière dorée. Il est plus souriant. Plus aimable.
Tout aussi beau, un peu moins mystérieux, peut-être plus douillet et
confortable. Mitsouko sourie et ça lui va bien. J’aime beaucoup les deux
versions. Je regrette juste qu’on n’ait pas le choix. Les deux sont différents, ne rêvons plus, nous ne referons plus ce qui a été fait et défait, mais si l'actuel est un chef d'oeuvre à la hauteur de l'ancien comme c'est le cas pour Mitsouko, je suis pleinement satisfait.
Mitsouko, Jacques Guerlain, 2013.
(Détail
amusant, quand je sens l’ancien Mitsouko, je trouve la parenté avec le Femme de Rochas, de façon bien
plus évidente. Côte à côte, les deux parfums actuel ont un vague air de famille
qu’on remarque parce qu’on sait. Dans les années ’50, ils devaient avoir l’air
d’une tante et de sa nièce préférée posant pour une photo ou les ressemblances
sont criantes. Ont les prendrais pour mère et fille.)
Je me suis déjà longuement exprimée sur ce qu'évoquait Mitsouko, en terme d'héritage familial. Cela va faire bientôt trente ans que je le porte régulièrement, j'en ai connu toutes les versions, sauf, hélas en extrait; et je ne peux que dire "Merci M Wasser" d'avoir redonner une âme à Mitsouko, pas tout à fait celui de mon arrière grand-mère qui était plus terreux encore, mais on n'est pas loin.... Ce parfum, c'est plus qu'une parure, c'est une manière d'être. Je ne le mets pas pour plaire aux autres, je le mets pour moi, je pratique l'onanisme olfactif, si j'ose dire. Je m'imagine lorsque je suis "revêtue" de lui, traversant la forêt japonaise millénaire dont c'est inspiré Miyasaki pour Princesse Mononeke, avec la 5ème Gnossienne de Satie en fond sonore, ou bien en déclamant Automne d'Apollinaire comme Léo Ferré. Ou simplement assise au calme sur un tatami en train de siroter une tasse de Pu-erh au parfum d'humus... Il n'y a qu'Après l'Ondée qui me rend aussi lyrique, mais d'une autre manière. D'ailleurs, si j'osais, je demanderais bien à M Wasser de se pencher sur lui pour lui redonner une âme comme il a fait pour Mitsouko....
RépondreSupprimerMon autre parfum "île désere", c'est... Femme de Rochas, justement, dont je garde précieusement un fond de flacon amphore. Des parfums qui sentent si bon la peau !
Il parait que la dernière mouture d'Après l'Ondée est jolie... (Bon, ayant connu l'extrait au siècle passé, je refuse d'aller sentir...)
SupprimerMitsouko, c'est vraiment du tout bon travail qui a été fait dessus. Effectivement, je ne retrouve pas complètement l'ancien, mais je trouve l'actuel aussi beau. Oui, je suis bien d'accord avec vous, Mitsouko est une attitude face à la vie bien plus qu'une parure ou un vulgaire outil de séduction. D'ailleurs, il n'est même pas séduisant, ni flatteur: il n'est pas assez évident pour cela. À celui qui ne l'a jamais rencontré, il ne parlera pas, il rebutera même par son étrangeté. C'est aussi pourquoi, un fois que nous l'avons fait notre, nous y revenons. Ce n'est pas le cas de beaucoup de parfums, ces choses parfois si vite oubliées... Effectivement, il est PLUS.
oh oui ! Se pencher sur Après L'Ondée, quelle bonne idée ! Je rêve de voir ce Debussy fait parfum revenir dans toute sa musicalité.
RépondreSupprimerHélène