Sorti à la toute fin du millénaire passé, ce parfum est
resté un peu dans l’ombre et n’a jamais connu la popularité qu’il mérite au
profit de ses frères plus radicaux, plus tapageurs. On prend trop facilement sa
subtilité et son art de la demi-teinte pour de la demi-mesure, beaucoup de perfumistas
privilégiant des parfums plus choquants, plus clivants, parce qu’ils sont
finalement plus simples à comprendre et qu’il y a ce plaisir quelque peu puéril
de provoquer en disant « même pas peur, je suis un vrai, moi ! »
Le positionnement initial « collection blanche » plus accessible mais
moins prestigieux n’aidant pas forcément. (Suis-je en train de dire que les
perfumistas sont snobs ? Un peu, oui.) Pourtant Douce Amère est un parfum
qui mérite le détour. Christopher Sheldrake réussi à faire à partir d’éléments
pâtissiers un vrai parfum qui n’a rien d’alimentaire, qui décevra les amateurs
de gourmandises attirés par la liste de notes, un parfum merveilleusement
équilibré, tout en fluidité avec un talent qui n’est pas sans rappeler celui de
Jacques Guerlain. (Jacques Guerlain restant ma référence absolue à la fois quand
il est question d’équilibre et de notes alimentaires devenue parfum.)
Sur le thème de l’absinthe, le départ est très végétal,
aromatique, associant la note verte de l’armoise à un anis aromatique, très
aérien, soutenu par une note de réglisse amère, assez discrète sur moi. Les
fleurs blanches du cœur, lys narcotique et tiaré exotique, ne semblent là que
pour supporter ce départ qui dure et le marié au fond de plus en plus présent
de vanille ambrée qui se fond sur la peau, poudrée, douce, ni comestible ni
baumée, presque sèche. Les premiers instants, que j’adore, passés la métaphore
qui me vient est féline : Douce Amère m’évoque la fourrure d’un chat, du
ventre d’un chat, plus précisément, là où elle et la plus fine, la plus douce,
qu’il vous laissera caresser s’il est en confiance mais avec toujours la
perspective du coup de griffe…
Je retrouve ce parfum que j’avais aimé à sa sortie avec
grand plaisir et je réalise que moi aussi je l’avais sous-estimé tant j’éprouve
du plaisir à le reporter, bien plus que dans mon souvenir. Certes, il y a aussi
la possibilité que je sois plus posé, plus sage. (Plus vieux ? non, je ne
crois pas, en 2000 j’étais déjà une vieille dame en heure bleue.) Je le porte
peu pour sortir, pas tant parce que c’est un parfum de peau dont les autres ne profiteraient
pas, à la limite mon égoïsme trouverait que c’est une très bonne raison de le
porter au bureau pour priver mes collègues qui ne me mérite pas du plaisir de
mes parfums, mais parce qu’il est tellement confortable, douillet qu’il se
prête à l’introspection loin du monde, à ces moments où nous nous autorisons la
vulnérabilité dans un espace sécurisé auquel Douce Amère ne contribue pas qu’un
peu. Oui, le parfum, ce n’est pas que beau, même s’il y a des raisons de s’extasier
devant une telle maitrise, c’est aussi bon !
Douce amère, Christopher Sheldrake pour Serge Lutens, 2000.
Je suis un peu perdu car vous disiez dans des billets précédents que la vanille de "Habit Rouge" est trop alimentaire (en comparaison de celle de "Pour un Homme"). Mais cela s'explique peut-être par le fait que "Habit Rouge" a été créé par Jean-Paul Guerlain et pas par Jacques Guerlain.
RépondreSupprimerOui, pour moi (sur moi?) la vanille de Habit Rouge est beaucoup plus alimentaire que celle de Shalimar avec un effet "petit beurre" qui me dégoûte un peu... à choisir, je préfère le beaucoup plus équilibré Shalimar, même si je le porte assez peu.
SupprimerIl a l’air sublime ce parfum. Et j’apprécie lire tes descriptions. Belette.
RépondreSupprimerIl est vraiment joli et bien fait, je regrette vraiment qu'il ne soit pas plus connu. (Et merci!)
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