Lire (essayer de) le dit
du Genji me fait m’interroger sur mes pratiques de lectures…
C’est une lecture assez
difficile pour moi. Il y a un grand écart culturel, c’est le Japon et le Japon
de la période Heian. 9340 km et 1000 ans nous sépare, même avec traduction, c’est
difficile. D’autant que ma non-familiarité avec la cour impériale m’embrouille encore
un peu plus.
Les personnages ne sont
jamais nommés. (à part les domestiques.) Ils sont désignés par leurs fonctions,
fonctions qui changent plusieurs fois au cours du roman. Je suis donc
complètement largué et je lis un peu sans savoir qui est qui. C’est un peu
perturbant et ça me remet en question comme lecteur.
Je dois bien dire que ma
pratique de la lecture n’a vraiment rien d’intellectuel. Je peux m’accrocher, fournir
des efforts quand le livre est utile, ou quand j’ai absolument besoin de
comprendre un mode d’emploi, mais j’ai surtout tendance à me laisser porter par
ma lecture et à ne lire que par plaisir et dans le fond peu importe que je
saisisse toutes les subtilités ou la portée générale de l’œuvre. C’est assez
décevant pour ceux qui pensaient naïvement que j’étais un lecteur de haute volée, un esprit
éclairé, mais pas pour moi qui n’ai jamais eu de grandes illusions par rapport
à ça.
Dans ce sens, le dit du
Genji est une bonne lecture pour moi, qui donne du plaisir. Des émois
esthétiques, d’ordre contemplatif, et la joie de retrouver à une telle distance
de moi-même des ressentis communs et des aspirations universelles. (Oui, ma vie
de bureau peut parfois ressembler à la vie du fil d’un empereur du Japon de l’an
1000. En moins élégant.) Si je parle de ça, c’est pour encourager les lecteurs
à aller vers des choses qui semblent difficiles, lointaines, pas pour nous.
Parce que tout ce qui est écrit peut être pour nous, sauf les mauvais livres,
je ne citerai pas de nom, mais nous sachons.
Il ne faut pas craindre
de lire, jamais. Il ne faut pas craindre de ne pas comprendre, d’être dépassé, nous
n’avons jamais rien à perdre, sauf un peu de temps. Peu importe de passer à
côté de ce que d’autres ont mieux vus, mieux compris, si nous trouvons quelque
chose dans toutes ces pages qui nous touche, qui semble avoir été écrit pour nous.
Et vous ? Vous êtes
quel genre de lecteur ?
NB : pour le cinéma
et les séries, c’est absolument pareil, je me fiche bien de tout comprendre, j’ai
déjà pris énormément de plaisir en passant complètement à côté du message ou en
interprétant tout de travers. Jamais je ne pourrai participer à l’un de ces
forums de passionnés qui analysent et décryptent leurs œuvres préférées. En ce
moment, je me régale avec Isekai Izakaya Nobu. Oui, c’est également japonais et, oui, je
me régale parce que ça parle de nourriture.
C’est une merveille de kitsch. Le pitch : un restaurant à Kyoto dont lune des deux portes donne aussi sur un monde imaginaire qui ressemble à l’Europe médiévale. C’est une Europe plus éclectique que médiévale, franchement germanique, et voir Nicolaus et Hans joués par des acteur nippons décolorés est savoureux. (Moins que la perruque blonde et frisottée très moche de Hildegarde.) C’est clairement de la comédie, de la farce et on s’amuse beaucoup. Le'aspect déguisement fait plus convention théâtrale que réalisme, il suffit de l’accepter. D'autant que c'est chouette de se voir en tant qu'européens vus par d'autres alors qu'on a surtout l'habitude du contraire. Mais dans toute cette loufoquerie, il y a la cuisine, tout tourne autour de ça et c’est TRÈS tentant. (Même si le fat que ce soit de la cuisine de taverne esthétise moins la présentation.)
C'est sur VIKI et la bonne nouvelle c'est qu'il y a deux saisons. (2*10 épisodes de 25 min.)
Voila comment je me suis perdue en essayant de lire "Les Frères Karamazov de Dostoïevski" ! Les personnages avaient des noms mais en changeait continuellement, comme il est de coutume dans la langue russe ! Aïe ! J'ai mieux compris le film... ;) Gabrielle Dlr
RépondreSupprimerChez les russes, c'est Tolstoï qui m'a perdu avec guerre et paix: trop de personnages, trop de grandes scènes de bataille, je suis probablement passé à côté de la moitié du livre.
SupprimerBonsoir Dau,
RépondreSupprimerJe vous avais écrit, cet été, un commentaire, au sujet du splendide coffret sorti en tirage limité, dans La Pléiade, de La Recherche, que je viens donc de relire, pour la troisième fois.
Grâce, ou à cause de vous, je me suis lancée, depuis la semaine dernière, dans Le Dit du Genji, une lecture en effet, très exigeante. Je me retrouve tout à fait dans votre billet, tout comme vous, j'ai été complètement larguée par les différents personnages, par l'écart culturel, l'époque lointaine de l'intrigue etc... Ne voulant pas céder au découragement, et passer ainsi à côté d'une oeuvre réputée magistrale, j'ai décidé tout comme vous, de me laisser porter par la vague, ne goûtant qu'au pur esthétisme poétique et contemplatif,aux sensations éprouvées. Une première lecture plaisir, sans prise de tête, qui donnera peut-être lieu un jour, à une deuxième lecture plus subtile et approfondie.
Pour ceux qui pourraient être tentés par cette longue l'aventure ( plus de 1400 pages!!!), je poste ici un extrait lu hier soir, que je trouve de toute beauté:
" Vinrent les averses d'hiver ; certain soir mélancolique, au crépuscule, sire le Commandant se présenta, il avait quitté ses vêtements d'été pour une casaque et des chausses d'un gris plus pâle, ce qui lui donnait un air viril dégagé qui en imposait. Le Prince, appuyé à la balustrade devant la porte couplée de l'ouest, contemplait le jardin brûlé par le givre. Le vent soufflait en rafales violentes, et ses larmes semblaient le disputer à l'averse:
Est-elle pluie
ou bien nuée devenue
comment le savoir
murmura-t-il pour lui-même, la joue appuyée sur la main, attitude qui parut à l'autre si séduisante qu'il se dit que, s'il était femme et que la mort l'eût obligé à le quitter, son esprit pour sûr y fût demeuré attaché; l'observant toujours, il vint s'asseoir près de lui; il s'aperçut alors que, si sa tenue était des plus négligées, il avait soigneusement noué les cordons de son vêtement. Et sous la casaque d'été un peu plus foncée que la sienne, il portait une robe banale d'un rouge lustré, ce qui formait un contraste dont la vue ne se pouvait lasser.
Le Commandant à son tour contempla le mélancolique spectacle :
Pluie devenue
qui du ciel se déverse
la nuée errante
mes yeux en vain la recherchent
sans savoir où la trouver
Qui sait où s'en est allée? murmura-t-il comme pour lui-même, et le Prince:
Le séjour des nues
où pluie est devenue
celle que j'aimais
par l'averse lui aussi
en ces jours est assombri"
Murasaki Shikibu. Le Dit du Genji. Livre neuvième, Les mauves.
Trad.René Sieffert.
Merci, Dau, pour cette belle découverte.
Tout est dit: peu importe l'ensemble, mais j'espère quand même une révélation, il y a ces moments de grâce (et ils sont nombreux.)
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