rouge et or

« Mais tout d’un coup, dans l’écartement du rideau rouge du sanctuaire, comme dans un cadre, une femme parut… »

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, du côté de chez Swann, 1913.
Avant d’être un parfum Chanel, Allure était un livre signé par Diana Vreeland au début des années ‘80, dans lequel elle donnait son avis sur l’allure à partir de photos du XXème siècle. Il y avait Garbo et la Callas, c’était un poil extravagant, emphatique. Diana était une diva qui adorait le rouge et une certaine forme d’excentricité très élégante. Si un parfum devait coller à cet Allure, pour moi, ce ne serait pas la petite chose lisse signée Chanel, que je n’ai jamais vraiment comprise, mais le Diva d’Emmanuel Ungaro. Parfum qui n’est pas totalement étranger à la maison Chanel qui supervisa son lancement et fit travailler son parfumeur maison, jacques Polge,  et son assistant de l’époque François Demachy, ainsi que Jacques Helleu, directeur artistique Chanel, pour le (magnifique) flacon.

Diva est marqué par son époque, c’est puissant,  semi oriental fleuri dont le bouquet est dominé par la note de rose typique de la décennie, cette rose presque fluorescente qui fit les beaux jours du Parfum de Peau de Claude Montana ou du Knowing de Madame Lauder. Voilà qui pourrait faire peur à ceux qui n’ont pas connu la décennie, et peut-être plus encore à ceux qui l’ont connue et craignent une création atomique capable de dévaster tout sur son passage. L’intervention Chanel devrait vous rassurer. Plus qu’aux diaboliques Poison, Diva fait penser à Coco qui le suivit de peu, Coco que je tiens pour l’un des plus jolis parfums de l’époque par son bel équilibre qui lui évite d’être trop connoté « épaulettes. » Diva, ce sont des aldéhydes, des agrumes, un peu mandarine, un bouquet où la rose est bien présente mais réussi à se fondre dans l’ensemble. Il faut dire qu’on la fait jouer son rôle en misant sur la tubéreuse et l’œillet comme co-star. Pas question avec un tel casting qu’on laisse l’une des actrices voler la vedette aux autres. Le tout se maquille d’un voile de poudre et se boise sur un fond qui hésite entre orient et chypre, sans lourdeur, animalisé, plus raide que moelleux: la mousse de chêne, lui évite le piège de la douceur ambrée vanillée. Il s’inscrit dans la résurgence du baroque et de l’ornement chargé qui avait caractérisé certains moments de cette époque : la robe rideau d’opéra de Karl Lagerfeld pour Chanel, le retour de l’arlésienne en haute couture avec Christian Lacroix, l’amour du rouge et or, les gros bijoux dorés…

Diva est un parfum  théâtral comme le veut son nom et sa date de naissance, mais même dans la  version  vintage (pré-code barre) que je possède, il n’est pas aussi caricatural que peuvent l’être certaines senteurs de l’époque. (Dont le parfum de peau cité plus haut.) Il possède une patine chic qui le date, certes, parce qu’il est riche et saturé, mais l’apparente plus aux classiques. Il est structuré, mais pas trop épaulé. Très élégant, il plaira beaucoup aux amateurs de Coco qui seront en terrain familier, et qui le trouverons, plus floral, probablement plus élégant et plus « dame. » Diva est hautain, très habillé, plus que séducteur. Il n’a pas ce petit quelque chose qui rend Coco séducteur, un peu aguicheur, presque canaille. Je ne dirais pas que ça lui manque. Diva a du charme, mais c’est avant tout un statut social, une allure. Diva joue un jeu qui n’est pas celui de la séduction, je le soupçonne de préférer le pouvoir à l’amour. Moi qui adore que la sexualité soit en sous-texte, plutôt qu'une évidence qu'on vous balance à la figure, j'adore! (Pour moi, Diva est presqu'en terrain confortable.)

Il n’est pas particulièrement facile à porter parce qu’il semble dire « robe du soir, J’AI DIT ROBE DU SOIR pas de cocktail ! » alors qu’aujourd’hui plus personne ne porte vraiment de robe du soir. Dans un sens, ça le décalage assez simple. Ambiance luxueuse assurée : personne ne doutera que vos coffres sont emplis de vrais bijoux. Personne ne remettra non plus en question votre autorité sur votre armée de bonnes. Assumez d’être bourgeois, voilà bien le seul conseil que je pourrais donner aux amateurs de Diva, pour le reste, ils ne semblent pas avoir besoin de conseils…

Diva, Jacques Polge et François Demachy pour Emanuel Ungaro, 1983.

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