Judith ou Salomé ?

« Il avait montré dans cette aquarelle l’apparition des roses qu’il avait vue et que sans lui on eut connues jamais ; de sorte qu’on peut dire que c’était une variété nouvelle dont ce peintre, comme un ingénieux horticulteur, avait enrichi la famille des Roses. »

Marcel Proust, à la recherche  du temps perdu, Sodome et Gomorrhe, 1921.

Certain ont l’art de faire Grand Genre comme on ne le fait plus, impressionnant comme ce n’est pas possible, vous persuadant que vous ne tiendrez pas le choc de leur somptuosité lamée or. Parfum Sacré fait peur. Dans son flacon doré, on s’attendrait à un énorme encens mystique, une senteur d’église surpuissante, un héritier mystique de l’orientalisme épicé qui traversa les années ’80 dans le sillage d’Opium. Mais c’est le Samsara de Guerlain qui clôt cette époque,  Caron situe son parfum dans une autre dimension.

Certes, il y a un départ épicé sec et puissant, dominé par le poivre qui pourrait faire passer Parfum Sacré pour agressif un quart de seconde, mais il révèle assez vite son cœur de rose orientalisée par le fond de bois et de muscs où on perçoit la civette (suffisamment que pour donner son côté animal au parfum, mais pas assez pour faire se froncer les nez délicat qui n’aiment pas l’odeur de la bête), le tout enveloppé dans un nuage crémeux poudré très Caron ! La rose n’est pas seule, mais elle est le cœur et l’âme du parfum, une magnifique rose en majesté, traitée tout en transparence. Et cette transparence fait toute la magie de Parfum Sacré qui est pourtant très saturé, riche, mais qui évite complètement la lourdeur.

Je suis assez difficile* quand il est question de rose, je trouve la note magnifique, mais elle ne fait pas partie de mon registre naturel et je trouve qu’on tombe vite dans le désodorisant pour toilette quand on veut la jouer capiteuse. Celle-ci trouve grâce à mes yeux, je l'adore, même, bien qu'elle continue de m'impressionner un peu. On est dans un univers, sombre et dense, d’aquarelle et mousseline plutôt que brocard et huile. Du coup, c’est un peu plus moderne, plus facile à porter que nombre d’ancien et que les parfums issus des années ’80 très datés. Pas évident, si j’avais dû à l’aveugle le ranger dans une case, je l’aurais mis dans la niche contemporaine, un peu pointue, qui regarde vers les classiques en les adaptant aux goûts actuels.

Le porter ne m’a pas forcément plongé dans une ambiance mystique. Le sujet ce n’est pas vraiment religieux. Le religieux n’est au mieux qu’un prétexte comme dans ces peintures aux sujets bibliques qui montrent de lascives femmes fatales dans les salons bourgeois. (Judith ? Salomé ?) Si certains parfums donnent une sensation "chignon laqué et rang de perles"», Parfum Sacré est plutôt "voilette et regard par-dessus l’épaule" à la façon d’une Marlene Dietrich filmée par Von Sternberg. 

Pas de quoi aller à la messe ou se retirer dans un ashram, le satin de soie, noir de préférence, lui va beaucoup mieux que la bure, sortez-le plutôt en ville !

Parfum sacré, Jean-Pierre Bethouart pour Caron, 1990.

NB : ma version est une version vintage, la version actuelle, dans un flacon moins spectaculaire est reformulée. La rose me semble moins nette, l’ensemble plus plat, mais il n’y a pas de quoi hurler au massacre.

*Je déteste cette expression dans un billet de blog, mais je ne vois pas comment dire autrement ma relation conflictuelle avec les roses, relation qui remonte à l'enfance où je n'aimais déjà que les roses blanches et où les variantes capiteuses rouges n'étaient que fort rarement supportable à mon nez.