verts divers

"Il me semblait découvrir le beau temps, le froid, la lumière hivernale…"

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, à l’ombre des jeunes filles en fleurs, 1919.

L’hiver est là et c’est pour moi la saison du vert, froid et lumineux. La chaleur écrase le vert mais l’hiver lui donne poésie et transparence cristalline, qu’il soit cinglant ou tout en douceur. Il y en a pour toutes les humeurs, toutes les envies, tous les plaisirs.

Chez Chanel, je devrais citer le N°19 et ses descendant Silences, Heure Exquise, Bas de Soie, mais j’avoue un faible pour Cristalle, le plus versatile, à son aise partout, de la ville au bord de mer en passant par la campagne. Il faudrait le ranger dans les eaux chyprées, mais ses notes fleuries de jacinthe me pousse à le voir vert. C’est un peu le mal aimé de la famille, qui n’eut jamais droit au flacon traditionnel, pourtant, il est loin d’être un vilain petit canard. À vrai dire, son vert est tiré par l’élégance traditionnelle Chanel vers les nuances bleutées les plus froides du spectre vert. Raisonneur et cérébral, il manque un peu de coeur mais à toujours raison, sensation plutôt agréable, non?

Jean-Louis Scherrer est, lui, un pur citadin, tout en aldéhydes-laque sur le chignon et chypre hautain, il ne se conçoit qu’en impeccables tailleurs de ville. Classique comme on n'en fait plus, il incarne encore aujourd’hui, dans les rayons du bas de votre parfumerie, une idée qui n’a plus beaucoup la cote, celle que l’élégance d’un vêtement bien coupé compte plus que les modes. C’est délicieux de raideur un peu méprisante. Si Cristalle a toujours raison, Scherrer donne les ordres et personne n’envisage de discuter. (Même, il y en a qui aiment ça!)Posé, sans âge, certains le surnomme "la vieille rafraîchie." Il comble les envies de chic, autoritaire mais souriant et tient un peu à distance. De temps en temps, un peu de distance, ce n'est pas si mal, n'est-ce pas? Et comment résister à un vert aussi scintillant?

Untitled de Maison Martin Margiela est le conceptuel austère de la bande. Le galbanum, résineux, terreux, se couche sur une encens sombre, c’est austère comme un paysage enneigé peint par un primitif flamand. Résolument campagne et donc indispensable à la ville! Le plus conceptuel de la bande, mais pas le plus difficile à porter. Je trouve qu’il va bien aux humeurs sombres comme son encens lorsqu’on a envie de jouer à la poupée qui fait non, non, non, non. Pas de chichis, il la joue très "matière brute" mêmes si la signature de Daniela Andrier, un peu cologne, un peu savonneuse, est palpable et le rend confortable.Dans le fond, son austérité ne trompe pas, on sent bien que cette terre est fertile et ne demande qu’un peu de printemps pour s’épanouir. Nenous fions donc pas à sa moue désapprobatrice...

L’Eau de Merzhin d’Anatole Lebreton est une petite délicatesse poétique et enveloppante qui évoque les fleurs (narcisse) au bord de l’eau. C’est un petit cocon de douceur impressionniste, réconfortant, qui ramène vers l’enfance. Il va très joliment aux petites filles modèles lorsqu’elle quittent l’enfance et commencent à songer aux garçons, quelque part au fond du parc, loin des ennuyeuses grandes personnes. 
"Et toi, Madeleine, ce nouveau jardinier, tu ne trouves pas qu’il est beau?"

Diorissimo de Dior est résumé comme un muguet, c’est un peu lui faire injure car un muguet seul ne serait pas aussi joli! Quelques aldéhydes lui donnent un scintillement couture et le sous-bois qui l’environne, qui fait que je le mentionne ici, est tout aussi important que la fleur centrale qui sans lui ne vaudrait pas grand chose. Les clochettes sont troublantes lorsqu’elles s’abandonnent, après le bal, au milieu des feuillages, en ingénues qui savent qu’elles sont toxiques. Le contexte agreste met joliment en valeur ce que le vase peut faire facilement oublier: la fleur est avant tout un organe sexuel. Attention, ce parfum peut devenir une drogue dure.

Tiens, je n’avais pas remarqué que je les avais instinctivement classé du plus frigide au plus "sexuel" peut-être parce que le vert n’est pas ce qu’on associe généralement à la sensualité dont la parfumerie se complaît à nous saouler à longueur de dossier de presse. Mais enfin, on peut lâcher la vanille et sa tête de lit en satin capitonné façon maison close XIXème siècle, s’intéresser à d’autres choses qu’à faire pigeonner son décolleté, sans pour autant renoncer à batifoler…


Et vous? Vous portez du vert en hiver? Lequel?

Commentaires

  1. Bonsoir
    Il m'arrive de porter Jade du sympathique et talentueux Olivier Durbano.
    Un départ très vert, un beau maté doux et sucré baigne avec une menthe crépue le tout infuse avec quelques épices cardamome,cannelle,anis...pour finalement s'élever dans un très bel encens signature du parfumeur.
    Un parfum que les petits êtres de la nature pourraient porter��
    Bonnes fêtes

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour,

      Je ne connais pas, mais me voila curieux!

      à bientôt!

      Supprimer
  2. Bonjour Dau,
    Puisqu'il fait vraiment froid en ce moment (froid et sec voilà le climat à Madrid l'hiver) je présente ma liste de senteurs vertes:
    Tout d'abord évidemment Eau de Campagne (Sisley édition 2003-2005), à mon avis la version la plus verte de toutes, pour moi c'est un incontournable de l'hiver. Eau de Campagne c'est moi. J'ai des réserves suffisantes et je l'utilise sans modération.
    Puis il y a l'Eau de Lierre de Diptyque un floral vert avec du lierre, du cyclamen et du géranium qui est un pur délice de verdure mais qui ne tient pas aussi bien que l'eau de Campagne.
    Et la nouveauté cette année: finalement j'ai adopté Cristalle de Chanel (eau de toilette) pour moi la plus florale de toutes ces senteurs mais qui a conquis mon cœur et que je vaporise sur tous les vêtements que je peux en visite aux grands magasins car ce seront les Rois Mages qui vont me faire cadeau de cette eau verte et chyprée (donc je n'ai pas de flacon chez moi à la portée de la main).
    Mention honorable: Les produits pour le corps de la ligne Eau de Campagne (l’huile dont j'ai également des réserves suffisantes et la crème de corps) la senteur est verte et poignante mais différente de l'eau de toilette, pour moi c'est une possibilité ou l'autre, en principe je ne les marie pas, ou j'utilise les produits pour le corps ou j'utilise l'Eau de toilette.
    Je vous souhaite un très joyeux Noël, pour moi ce sera en chantant dimanche 25 à l'église allemande de Madrid, une toute petite merveille architecturale enfouie dans un jardin que le Kaiser William a fait construire dans le centre-ville et qui a résisté la guerre civile espagnole et la seconde guerre mondiale.
    A très bientôt!
    Sara

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour Sara,

      L'Eau de Campagne, je ne suis pas surpris. Souvent, moi aussi, je ne marie pas les produits parfumés au parfums assorti, c'est rarement nécessaire et la variation est souvent intéressante. L'Eau de Lierre, je l'ai aussi portée (dans mon jeune temps?) et je l'aimais beaucoup en dépit d'une certaine timidité qui lui allait bien. Et puis, on peut abuser avec elle! Je me suis toujours demandé pour la tenue si les muscs blancs qui y sont (très) présents ne provoquaient pas une certaine anosmie...Mais je ne crois pas.J'aimais beaucoup son effet végétal su vieilles pierres humides que je trouvais très réussi!

      à bientôt

      Dau

      Supprimer
  3. Bonjour,
    Je lis régulièrement votre blog et si je puis me permettre j'aimerais citer un vert que j'adore, sombre et mystérieux, et qui, oui, resplendit en hiver, ainsi qu'en toute saison: French lover / Bois d'Orage des Editions de parfum Frédéric Malle. Je trouve ce parfum infiniment beau, légèrement glacial comme un courant d'air froid, distant, éthéré et majestueux.
    Votre description d'Untitled me donne très envie de le découvrir, ainsi que Jade cité par lechat.
    Joyeuses fêtes à tous !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour,

      French Lover, je le connais (mal) et je n'ai jamais penser à le testé dans le froid, il faudrait que j'essaye. JE trouvais joli ce travail très classique, mais je ne l'ai, à la vérité, plus vraiment en mémoire... (Le drame quand on sent trop et trop vite. Mais en même temps, on peut redécouvrir tout le temps! et, ça, c'est bien!)

      à bientôt!

      Supprimer

Enregistrer un commentaire