anno dracula

« une admiration si naïve, mêlée de tant d’effroi et d’horreur »

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe, 1922.

J’aurais pu en parler dans les découvertes (c’est est une !) et favoris ((c’en est un aussi) mais je pensais qu’il était préférable de faire un post à part pour éviter d’être trop long… 

Lorsque j’ai vu la couverture du livre sur une étagère de librairie, lorsque j’ai lu la quatrième de couverture, j’ai été tenté et repoussé à la fois. L’idée d’un livre qui mettrait en scène un monde ou Dracula a réussi à conquérir l’Angleterre en épousant la reine Victoria et à imposer le vampirisme comme quelque chose de normal au monde entier m’a paru séduisante, amusante, mais aussi un peu grand guignolesque. Le thème «vampire» c’est toujours un peu risqué, ça flirte avec le mauvais goût et la facilité. (Je précise : j’ai adoré le roman de Bram Stocker. Forcément, c’est victorien, sombre…) Et puis une recommandation par tweet de Sabine Sur jurant que ça valait le détour m'a fait franchir le pas.



L’histoire qui nous est comptée dans Anno Dracula se passe sous le règne du prince consort Dracula mais montre très peu le vampire en personne. Il est plutôt question d’une enquête policière sur un tueur en série qui assassine les prostituées vampires à Whitechapel. C’est un policier, un thriller, tout d’abord… L’idée géniale est de mêler à l’histoire, celle de Jack l’Eventreur, de la Grande-Bretagne sous Victoria, la fiction, ou plutôt les fictions car Kim Newman mêle fort heureusement différents personnages issus de différents romans et c’est ça qui rend le livre génial et savoureux ! (En plus d’une bonne histoire.) Le procédé est assez victorien puisqu’à cette époque on usait et on abusait de la citation d’auteur célèbre dans les livres et les conversations… Si Dracula était un parfum, je dirais qu’Anno Dracula est un flanker terriblement réussi. Respectant l’œuvre originale et la trahissant juste assez que pour avoir son intérêt propre.

Comme je ne me suis pas ennuyé une seule seconde, j’ai plongé directement dans la lecture du «Baron Rouge sang,» la suite, qui a pour cadre la première guerre mondiale. Dracula, chassé d’Angleterre, est devenu conseiller du Kaiser et mène la guerre contre le reste de l’Europe. Le Baron Rouge est bien entendu un vampire. Autre genre, ce livre doit plus au livre de guerre, à l’histoire de tranchée et flirte aussi avec l’espionnage. Une deuxième partie est plus Agatha Christièsque… Mais tout aussi plaisante à lire. J’ai adoré le fait qu’on change d’époque et de registre, c’est intelligent, ça évite de lasser, l’aspect légèrement parodique ressort sans casser l’histoire à laquelle je me suis laisser prendre jusqu’au bout.

L'idée d'un Dracula absent du livre, dont on parle sans jamais le voir vraiment permet de le rendre plus impressionnant, terrible, en échappant à la caricature du méchant. On ne sait finalement de lui que ce que les personnages en disent. J'ai adoré parce que ça maintient la dimension mythique du personnage qui reste "un personnage de livre" même si le parti pris est de dire que Bram Stocker n'a pas dit la vérité dans son livre... Le livre dans le livre, perpétuelle mise en abîme et jeu constant sur les littératures qui font en grande partie le plaisir de la lecture. (Même si une bonne partie des références me sont probablement passées par dessus la tête.)

Évidemment, c’est le genre de lecture qui donne des insomnies. Pas parce que les vampires font peur, mais parce qu’on refuse de lâcher le bouquin avant d’en savoir plus… ça nous fait du mal, et des cernes, mais c’est tellement bon. (Bien sûr que j’ai commencé la suite !) Un grand merci à celle qui m'a fait franchir le pas. Et comme c'était un bon conseil, je fais ce qu'il faut faire avec eux, je m'empresse de le refiler à d'autres!

Anno Dracula et le baron rouge sang, Kim Newman au livre de poche.
Dracula cha cha cha, Kim Newman, aux éditions Bragelonne.

PS: à lire un buvant du Pu Er et en portant du patchouli.

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