hippie, mais pas trop

"Mais si Robert trouvait quelque chose de Rachel à Charlie, Gilberte, elle, cherchait à avoir quelque chose de Rachel afin de plaire à son mari, mettait comme elle des nœuds de soie ponceau, ou rose, ou jaune, dans ses cheveux, se coiffait de même, car elle croyait que son mari l’aimait encore et elle en était jalouse."

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu,  le temps retrouvé, 1927.

Le patchouli a connu une vogue incroyable (et merveilleuse?) chez les romantiques. Il aurait été découvert en même temps que les châles indiens. Pour faire voyager les étoffes par bateau, on les rangeait dans des caisses avec des feuilles de patchouli qui faisaient office d'antimite. Le Charles de Georges Sand passe pour sentir le patchouli encore aujourd'hui. Bien sûr il s'est démodé. On lui reprochait sa puissance, sa tenue, sa sensualité de mauvais aloi. Il n'était pas un parfum de femme respectable, encore moins de jeune fille vertueuse.

Pour tout dire, le patchouli sentait la cocotte!


Il a connu un retour en grâce chez les hippies qui l'aimaient comme ils aimaient l'Inde, de plus ou moins loin, plus ou moins frelatée.
Voilà qui n'a pas arrangé sa popularité, les dames bien l'ont boudé et lorsque les hippies ont déserté la mode, ils ont laissé du patchouli une image encore plus abîmée, de vulgarité, de saleté. Ces mêmes dames bien, on remarquera qu’elles faisaient la fêté à Aromatics Élixir qui était pourtant surdosé en patchouli. Certes bien entouré. Que voulez-vous, il en va souvent ainsi des matières décriées et l'art du parfumeur peu beaucoup. Savoir ce qui va plaire à condition de ne pas être nommé est bien utile pour avoir du succès.

Moi-même, j'ai une relation complexe avec le patchouli. Je l'aime, je m'en lasse, je déteste certaines associations (alimentaires, mais pas seulement), je me pâme comme une jouvencelle séduite à son premier bal par le plus bel homme de la ville, j'hésite entre malaise et plaisir.
En ce moment, je suis probablement dans une période de romantisme effréné. J'aime les ombres gothiques, je me repais d'histoires vampiriques. J'apprécie les charmes du sombre et de l'obscur, les histoires héroïques ou le sang coule à flots, les héroïnes torturées.
Je suis prêt pour une cure de patchouli.

J'ai choisi l'original, la référence : Patchouli de Réminiscence. Il sent le végétal toxique, s'insinue partout et s'accroche pour longtemps évoquent  la sensualité d'une chair bronzée, la forêt humide, la terre, la tourbe même, la maison ancienne et la cave sombre. Il ne se porte qu'à même la peau, comme un bijou étrange dont la noirceur apparente n'est qu’accumulation de couleurs intenses. 

Il ne se porte pas parce qu'il est chic, à la mode ou élégant, il se porte pour soi, pour combler une envie de voyage, d'exotisme, un besoin de rêver encore et encore. Il ressemble à une orchidée venue de très loin: à la fois naturelle et pourtant terriblement sophistiquée, comme si on l'avait travaillée pour habiller sa sauvagerie d'un voile de civilisation très artificielle. Le patchouli est traité en matière qu'il ne sert à rien d'essayer de dompter et c'est tant mieux! Le parfumeur a bien fait de ne pas trop le travailler, de lui laisser ses aspérités. C’est un caractériel ombrageux comme on n’en fait, hélas, plus. 



Le patchouli de Réminiscence, sec et sombre, pénétrant mais jamais agressif,  est plutôt facile à porter, il suffit d’oser, et très reposant, en fin de compte, comme une de ces lectures pleine de passions et de frissons, qui laisse épuisé mais curieusement ragaillardi. L'imagination nourrie, on est mieux à même d'affronter la vie. Et tant pis pour ceux qui font la grimace, ils ne savent pas ce qu'ils ratent. Certes, il est brut de décoffrage et pas forcément raffiné, c’est parfois si bon de se laisser aller.  J’avoue aussi que, pour moi, ce n’est pas tous les jours. Hippie, oui, mais pas trop. 

Patchouli, Réminiscence, 1970

(Et pour parler façon sous-titre du blog, celui-là est plutôt sans culotte qu’avec !)

Commentaires

  1. Je vois que la lecture d'Eugénie Briot vous a inspiré ! Le patchouli était l'apanage des cocottes au XIXe et, comme Baudelaire, il a bien perdu de son scandale aujourd'hui. Pas tout à fait recommandable, mais pas vraiment provocant pour autant... J'aime bien celui d'Histoires de Parfum personnellement. Un peu cuiré et tabacé, je trouve qu'il a des airs d'Habanita des campagnes !

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    1. Ah pas vraiment, je connaissais l'histoire du patchouli avant. Et les cocottes sont l'une de mes grandes passions. Plus celle de la belle époque que du second empire pour tout dire. et je trouve amusant que l'histoire se répète avec les hippies! (Pauvre patchouli quand même!) J'aime surtout le patchouli en mélange: j'ai cité Aromatics Elixir, mais je devrais aussi parler de celui, très dur, de Mon Parfum Chéri chez Goutal qui porte si mal son nom. Marié à l'iris violette et relevé d'une pointe de liqueur de prune, il est fabuleux! (Et pour le coup TRES dark! Passablement dérangeant aussi.

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    2. Très Second Empire justement : Nana de Zola sent le patchouli et la violette, pour se donner une apparence de bonne bourgeoise malgré son "fond" de cocotte... Mon Parfum Chérie serait peut-être pour elle alors !

      J'ai mis du temps à comprendre Aromatics Elixir, mais j'apprécie toujours de le croiser (même rarement) dans la rue... Autres grands patchoulis survivant malgré tout au bas des rayons Sephora : Knowing, Magie Noire et Paloma Picasso !!! Cruellement sous-estimés alors qu'ils ont plutôt vieilli avec élégance.

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    3. Pour Nana, je n'ai retenu que la violette...
      Mon Parfum Chéri a été inspiré par une ancienne concrète ayant appartenu à Colette, plutôt la troisième république de Claudine alors, non?

      Magie Noire est très diminué parait-il... Paloma et Knowing, j'adore! Le paloma Picasso est injustement sous-estimé (parfum de célébrité?) Alors qu'il est d'une beauté à couper le souffle en dépit de son côté très '80 parfois difficile pour certains! (Les faibles!) à ajouter, la peu connue mais sublimissime Eau du soir de Sisley qui coûte le prix d'une niche pas donnée mais vaut largement son prix. Sillage à tomber à genoux tellement c'est beau. (Tomber à genoux, mais pas nécessairement pour des prières très catholiques.)

      Aromatics, à Bruxelles, je le croise assez régulièrement sur des dames plus toutes jeunes, absolument merveilleuses!

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    4. Aaah je ne savais pas pour Colette. C'est intrigant !

      Magie Noire est toujours amer, mais il me paraît assez portable, moins animal que sa réputation ne le laissait présumer ! Knowing est un peu le sous-estimé de chez Lauder je trouve, alors qu'il reste très élégant...
      Je me tâte à acheter Paloma Picasso depuis un moment déjà. J'aime surtout son côté un peu brutal et irrévérencieux, quand le castoréum ressort bien pour maltraiter un peu l'oeillet (le castoréum, c'est la vie).
      Je n'ai qu'une impression superficielle de L'Eau du Soir, mais je vais aller quémander un échantillon, vous m'intriguez !

      Les mamies font souvent preuve d'une audace incroyable en matière de parfum, sans vraiment en être conscientes parfois. J'ai croisé une dame baignée dans un Shalimar qui devait être plus tout jeune lui non plus, magnifique. Du cuir et de la poudre à canon vanillée sur une petite grand-mère apparemment inoffensive... Alors que le Shalimar actuel, c'est un peu une crème anglaise au citron.

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    5. L'inspiration pour parfum chéri était une ancienne concrète qui avait appartenu à Colette et qui avait été offerte à Annick Goutal. elle a inspiré Camille et Isabelle Doyen quand elles ont voulu rendre hommage à la fondatrice (et à la mère)
      Je trouve que ça fait une jolie histoire même si nous ne sauront jamais à quel point elle est authentique...

      Paloma Picasso, je trouve que c'est une très belle réussite et je me tâte aussi. (J'avoue!) Il a une très belle construction, qui reste très classique en dépit des épaulettes '80. Et les classiques n'avaient pas peur, eux, de sentir la fesse de façon plus ou moins ostensible.

      Les mamies ne sont pas audacieuses. Elles font simplement comme du temps de leur jeunesse quand on n'avait pas aussi froid aux yeux et qu'on se souciait un peu moins de politiquement correct qui lisse absolument tout jusqu'à l'insipide parce qu'on confond abusivement avoir un sexe et une vie sexuelle et exhibition déplacée. Bref... J'aime bien le Shalimar actuel, mais uniquement dans sa version Eau de Toilette qui marque bien la bergamote et nous épargne l'elffet vanille en solo qu'à parfois l'EDP. La version ancienne est incomparable, j'avoue. Je possède quelque gouttes de la repesée identique à l'originale et pas IFRA compatible et un vintage des années '80, c'est autre chose... Mais il a su rester beau, surtout dans le sillage. Et comme disait Thierry Wasser, "pas la peine de le retravailler, les gens n'en voudraient pas, ils veulent de la vanille." Dommage, mais il faut être réaliste.

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