encore une fois

« On les veut avoir tout le temps auprès de soi, comme de belles fleurs reçues, encore toutes fraîches, et qu’on ne s’interrompt de regarder que pour les respirer de plus près. »

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe, 1922.

Probablement serait-il de bon ton d'évoquer dans la vénérable maison Guerlain, la Cologne Impériale qui contribua au succès de la marque en lui méritant la clientèle d'une impératrice qui n'aimait point les parfums forts. Mais cette Cologne, jolie et fine n'a jamais eu mes faveurs, je lui ai  toujours préféré la plus républicaine et franchouillarde Eau du Coq. C'est au point qu'ayant remporté le concours des abeilles de Guerlain, l'an passé, concours qui devait être couronné par un flacon abeilles d'un litre de Cologne Impériale, je me suis écrié que, Zut, j'aurais préféré de l'Eau du Coq. Aimé Guerlain, de son paradis, dû m'entendre et à ma plus grande joie, je découvrais que l'Impériale avait été transmuée en Eau du Coq.

Cette eau, dans son flacon abeilles d'un quart de litre, fut ma première Cologne de luxe, un achat déraisonnable et jamais regretté d'adolescent amoureux de belles colognes qui s'était décidé à casser sa tirelire. Elle est extrêmement classique et se démarque dans la nuance, un peu moins "fine et délicate" que son impériale aînée, plus vive, plus revigorante. Elle lance joyeusement son départ citronné en le mâtinant d'aromates, d'une jolie lavande qui ouvre la cologne ajoutant à son scintillement une impression d'espace et de grand air. Cette facette aromatique s'affirme même quand vient l'heure du cœur floral ou la fleur d'oranger a le bon goût de jouer les suivantes de la lavande. Le fond de mousse est très léger et j'y distingue à peine une trace de patchouli.

Cette cologne, je m'en suis baigné en été et surtout au printemps, avant de la trouver parfaite pour l'hiver qu'elle semble tenir à distance avec sa belle lumière d'or pâle touchée de bleu céleste.je l'aime un peu moins le jour que la nuit. Où elle m'assure des rêves d'enfant sage et prend soin d'écarter les mauvais rêves. Je l'aime sans modération, la faisant couler, ruisseler, sur mes avant-bras au moment de me coucher. Pourtant, en dépit de ses airs innocent, elle n'est pas sans troubler; sa décence, sa pudeurs sont bien réelles mais m'ont toujours semblées un peu nues. Elles n'ont peut-être pas d'arrière-pensées, mais le plaisir vient quand même à elles.


Mais je l'avoue, pour une fois, le flacon contribue à l'ivresse, monumental symbole bourgeois d'un luxe qui ne s'exhibe pas, reste toujours de bon ton et de bon aloi, ostentatoire mais caché dans le boudoir ou la salle de bain. Peut-être est-ce pour respecter cela qu'on parle si peu d'elle? Toujours est-il que j'ai plaisir à contempler ce gros flacon qui semble un morceau d'histoire à lui tout seul et qu'il m'incite à le déboucher, non pas pour le sentir au goulot, mais pour me reparfumer un peu, encore une fois!

Eau du Coq, Aimé Guerlain, Guerlain, 1894.