"La femme est bien dans son droit, et même elle accomplit une espèce de devoir en s’appliquant à paraître magique et surnaturelle; il faut qu’elle étonne, qu’elle charme; idole, elle doit se dorer pour être adorée. Elle doit donc emprunter à tous les arts les moyens de s’élever au-dessus de la nature pour mieux subjuguer les cœurs et frapper les esprits. Il importe fort peu que la ruse et l’artifice soient connus de tous, si le succès en est certain et l’effet toujours irrésistible. C’est dans ces considérations que l’artiste philosophe trouvera facilement la légitimation de toutes les pratiques employées dans tous les temps par les femmes pour consolider et diviniser, pour ainsi dire, leur fragile beauté. L’énumération en serait innombrable; mais, pour nous restreindre à ce que notre temps appelle vulgairement maquillage, qui ne voit que l’usage de la poudre de riz, si niaisement anathématisé par les philosophes candides, a pour but et pour résultat de faire disparaître du teint toutes les taches que la nature y a outrageusement semées, et de créer une unité abstraite dans le grain et la couleur de la peau, laquelle unité, comme celle produite par le maillot, rapproche immédiatement l’être humain de la statue, c’est-à-dire d’un être divin et supérieur? Quant au noir artificiel qui cerne l’œil et au rouge qui marque la partie supérieure de la joue, bien que l’usage en soit tiré du même principe, du besoin de surpasser la nature, le résultat est fait pour satisfaire à un besoin tout opposé. Le rouge et le noir représentent la vie, une vie surnaturelle et excessive; ce cadre noir rend le regard plus profond et plus singulier, donne à l’œil une apparence plus décidée de fenêtre ouverte sur l’infini; le rouge, qui enflamme la pommette, augmente encore la clarté de la prunelle et ajoute à un beau visage féminin la passion mystérieuse de la prêtresse. Ainsi, si je suis bien compris, la peinture du visage ne doit pas être employées dans le but vulgaire, inavouable, d’imiter la belle nature, et de rivaliser avec la jeunesse. On a d’ailleurs observé que l’artifice n’embellissait pas la laideur et ne pouvait servir que la beauté. Qui oserait assigner à l’art la fonction stérile d’imiter la nature? Le maquillage n’a pas à se cacher, à éviter de se laisser deviner; il peut, au contraire, s’étaler, sinon avec affectation, au moins avec une espèce de candeur."
Baudelaire, le peintre de la vie moderne, éloge du maquillage, 1885.
naked smoky, Urban Decay |
Les adeptes de la beauté "vraie, naturelle, authentique" me font bien rire… En quoi la nature est-elle vraie ? Qui a dit que le visage que la génétique nous a donné reflétait vraiment notre âme, nos émotions, nos sentiments ? En quoi vouloir que l’intérieur se manifeste à l’extérieur serait-il tricher ? Mais j’avoue que la beauté "cute&sexy" peut m’ennuyer prodigieusement. Quant à la cagole attitude, ma foi, je la trouve laide, mais bien pratique, elle me permet de ne pas m’attarder…
naked 3, Urban Decay |
Craquage obligatoire sur les palettes, bien sûr. Parce que les pros me jurent que techniquement, elles sont parfaites pour ce qui est du dosage et de la qualité des pigments et parce que j’ai déjà vu des débutantes dans l’impossibilité de se rater et de ne pas être plus jolies en se servant d’une Naked. Bon, ok, mais en vrai, moi qui adore la couleur, qui restent des heures devant les rayonnages des papeteries à regarder les crayons, qui flâne devant les étalages de peintures en m’extasiant à propos de chaque nuance, j’aime les regarder, comparer, voir les différences entre les tons, les reflets, parce que tout simplement, c’est beau. (Et pour ceux qui espèrent un tuto: même pas en rêve!)
naked skin, Urban Decay a guide to elegance, Geneviève Antoine Dariaux |
Bonjour Dau,
RépondreSupprimerJe n'ai jamais testé Urban Decay mais il y a un produit qui me fait vraiment bonne mine "Eclat minute, base illuminatrice de teint" (Clarins). Cette base fait toute la différence surtout si j'ajoute du mascara, ces deux produits suffisent largement à me transformer.
A bientôt,
Sara
Re-bonjour Dau, superbe billet, j'adore! (Oui je réagis toujours avec des années de retard mais c'est parce que ton blog est une découverte récente pour moi, alors je viens picorer une ou deux fois par semaine sans crainte de taper dans d'anciens billets, que de découvertes!)
RépondreSupprimerJ'ai éclaté de rire avec "la cagole attitude", c'est une expression que je vais adopter... Mon Dieu, mais tu penses à qui? (Non, ne le dis pas...)
Mais mon cœur a battu plus fort à ta phrase: "J'aime le maquillage quand il est vrai et théâtral, qu’il permet à celui ou celle qui le porte de faire passer un sens, une émotion". Alors là, quelle madeleine de Proust! Puis-je te bassiner avec un souvenir de jeunesse?
Cette histoire de maquillage théâtral me fait penser à mon Guido (« Mon Guido », c’est le chanteur Jean Guidoni). J’ai eu la chance de le voir sur scène dans les années 80, je le revois dans un cercle de lumière, tout de noir vêtu, les yeux cernés de khôl, les paupières charbonneuses, androgyne sans afféterie, la voix virile, la gestuelle élégante et mesurée (l’anti Jimmy Sommerville !). Bref le beau ténébreux dans toute la magnificence de sa trentaine, on était tous « in love », les garçons et les filles. Ses chansons (forcément tragiques, ce n’était pas du Patrick Juvet) donnaient vraiment le frisson. Je pense à « Tramway Terminus Nord », « Je marche dans les villes », ou le cultissime « Les draps blancs » où il évoque en filigrane son homosexualité sous un déferlement de fleurs vénéneuses… Magnifique !
On aurait pu l’imaginer, hors scène, comme un bellâtre blasé et distant, prenant des poses de tragédien antique. Que nenni ! J’ai eu la chance de pouvoir aller le saluer dans sa loge (avec mes copines et une cohorte d’admirateurs) et là je suis tombée sur un homme d’une simplicité et d’une gentillesse à briser le cœur, qui recevait les flots de compliments avec humilité, avec une gratitude sincère mêlée d’une vague incrédulité, comme s’il n’était pas sûr de les mériter vraiment… Et qui nous remerciait presque timidement, mais de tout son cœur… Pas du genre à se la péter, mon Guido !
Aujourd’hui il a pris des ans et du ventre (on ne peut pas être et avoir été) et je crois savoir qu’il ne se maquille plus sur scène, hommage lui en soit rendu (prends-en de la graine Madonna : la guêpière à 65 ans ? Sérieux ? Il y a un temps pour tout !). Mais il est resté émouvant de gentillesse et je le trouve toujours aussi craquant. Cet homme-là est un prince ! A voir en interviews sur You Tube : « Jean Guidoni aux Francofolies » et « Jean Guidoni, je devais faire une école de cuisine ». Et réécouter « Les draps blancs », absolument !
Merci pour ce petit coup de nostalgie, amitiés de Baladine