soyons (post) modernes

“D’ailleurs, nos contemporaines veulent absolument du nouveau, n’en fut-il plus au monde.”

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, à l’ombre des jeunes filles en fleurs, 1919.

Avant, au XXème siècle, c’était facile, selon le système inventé par Worth, les couturiers deux fois par ans nous disaient ce qu’on devait aimer, ce qu’on devait porter, à quoi on devait ressembler. Et puis les années ’90 sont arrivées et ont tout remis en cause. Certes, il y avait déjà eu des mouvements d’humeur avant, mais ça ne débouchait sur aucune alternative. Tout d’un coup, on s’en est pris à la mode et à son industrie de façon argumentée. (Pensez au No logo de Naomi Klein, le livre culte de l’époque.) On questionnait la mode, là où ça fait mal, pas en jouant sur le sentimentalisme type "la fourrure fait mal au petites bêtes" parce que ça, tout le monde s’en fiche, mais en posant de vraies questions sur la façon dont sont traité les ouvriers du tiers monde qui cousent nos vêtements et, surtout, sur le fait que nos vêtements qui coûtaient trois fois rien à produire, on les payait des fortunes. (Le consommateur peut n’avoir aucune morale mais se réveille quand on lui parle de son porte-monnaie. C'est l'instant cynique.)

Et puis le grunge qui faisait la gueule à la mode et au glamour proposait une alternative pour se passer de l'industrie en misant sur la récup. On s’habillait dans les dépôts, dans les friperies, on récupérait, mais on n’allait plus dans les boutiques. Du coup, ça a créé une esthétique un peu particulière ou le "beau" naissait de la rencontre, du choc improbable de vêtement qui n’était pas destinés à aller ensemble et dans les tailles qu’on trouvait, donc forcément, jamais la bonne.

Depuis, c’est fini, on ne s’habille plus pareil d’autant que la robe au bout des possibilités se contente de recycler à tout va. (Puisque tout a été montré et que pour montrer moins, il faut supprimer le vêtement, ce qui choquerait peut-être comme les modeux aiment le faire mais ne ferait pas vraiment vendre…)

Depuis, la panoplie, l’assorti, le coordonné, c’est INTERDIT. Depuis les années ’90, ON DÉCALE ! On pioche dans la mode, dans son histoire et on marie, on improvise, on casse, on est créatif en évitant le premier degré. Fini le total look et vive le mélange. OK, c’est un peu compliqué puisque rien ne doit aller avec rien et que tout doit pourtant être harmonieux. Et puis surtout, il faut éviter les trucs évidents comme casser une tenue sage avec un blouson de cuir qui donnerait un côté un peu rock. Parce que c’est tellement déjà vu que le perfecto est devenu aussi convenu et ennuyeux que la veste de tailleur Chanel de Bernadette. Un carré Hermès et ses sublimes impressions sur la petite robe à fleurs, c’est limite plus rock finalement. (Et bien plus difficile à marier.)

L’idée, c’est donc d’éviter que la tenue ne soit assortie au parfum. Ou l’inverse. Donc si on porte un vêtement rétro ou une pièce vintage, on opte pour un parfum moderne. (Moderne ne veux pas dire une œuvre conceptuelle dégueulasse non plus, je précise.)  Si la tenue est rock, on porte un joli floral ou un aldéhydé chic madame…  En règle générale, l’élégance du parfum devrait être inversement proportionnelle à celle de la tenue.

Pareil pour le sexy. On vous a assez répété que décolleté plus moulant plus court, c’est vulgaire. Alors rajouter une tubéreuse gueularde ou un oriental musqué lourdingue par-dessus, vous pensez que ça à quel effet? Oui, à peu près aussi subtil que le billet de 100 € entre les fesses tatouées "baise-moi." 

Le parfum de chaudasse, c’est possible avec l’armure de Jeanne d’Arc. Et la chemise de bucheron + barbe avec Femme de Rochas ou Anaïs Anaïs. Vous avez saisi l'idée?

Commentaires

  1. Je suis assez d'accord, j'adore porter Datura noir de Lutens en jean/Converse ^^

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    1. J'avoue que je connais mal Datura dont on me dit que c'est une tubéreuse?

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  2. Bonjour Dau,
    Vous m'avez donné une idée : je vais essayer de faire porter Femme à mon barbu de mari, qui ne porte pas de chemises de bûcheron canadien mais des T-shirts noirs à l'effigie des groupes de rocks indépendants post-punk qu'il écoute toujours depuis son adolescence (je vous rassure tout de suite, non, il ne ressemble pas à un chanteur de ZZ-top).... Autant vous le dire, c'est pas gagné vu qu'il ne consent qu'à porter l'Eau d'orange verte que je lui ai fait sentir et qu'il daigne à trouver sympa...
    Quant à moi, il m'est arrivé de porter Calandre les jours de grosses déprimes ou de fatigue avec un gros pull informe pour me camoufler, et de redresser instinctivement la tête tant j'ai l'impression que ce parfum me donne une colonne vertébrale et me donne envie d'aller de l'avant....

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    1. Passer de l'Eau d'Orange Verte à Femme: bon courage, c'est pas gagné! Mais avec le T-shirt rock, l'effet fourrures et tailleurs de Femme doit hyper bien passer aussi, je croise les doigts!

      Calandre me fait le même effet. Ainsi que dans une moindre mesure Miss Dior. Comme si on tirait un peu sur la dficelle au sommet de mon crâne pour me forcer à être digne. J'ai l'impression d'entendre ma grand-mère me dire "tiens-toi droit!" ;-)

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    2. Bonjour Dau et bonjour Ambre Rouge,
      Il m'arrive la même chose avec Miss Dior une senteur que je trouve pétillante et verte et pourtant il n'en est pas de même avec Calandre, plus intime et d'une certaine façon plus triste, un jus que j'aime beaucoup mais qui me déprime un tout petit peu.
      Ambre Rouge, je lis avec un sourire sur les lèvres que votre mari s'intéresse aux groupes rock-indépendants post-punk, tout comme le mien! En ce qui concerne le parfum, je n'ose pas suggérer une tubéreuse ou des aldéhydes à mon mari (les hommes espagnols, vous savez...) mais il me laisse choisir son parfum (chronologiquement l'Eau des Quatre Voleurs de l’Occitane, Wonderwood de CDG et maintenant Wonderoud aussi de CDG).
      Bonne journée!
      Sara

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    3. Bonjour Sara,
      C'est amusant (enfin, non) cette dimension triste dans Calandre. Je ne la sens pas vraiment, mais j'imagine volontiers qu'elle doit se trouver du côté de sa froideur un peu dure, un peu inhumaine, qui peu évoquer une certaine solitude ou de la rancœur?.

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    4. Bon après-midi Dau,
      je crois que vous avez vu juste, elle évoque une certaine solitude.
      Cordialement,
      Sara

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