gardénias humides

"Elle disait "Enfin, on respire!" et parcourait les allées détrempées-trop symétriquement alignées à son gré par le nouveau jardinier dépourvu du sentiment de la nature- de son petit pas enthousiaste et saccadé, réglé sur les mouvements divers qu’excitaient dans son âme l’ivresse de l’orage…"

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, du côté de chez Swann, 1913.

Matin d’Orage m’évoque un peu ces parfums des années ’70, moins couture, plus vert, plus naturels que leurs prédécesseurs, tout en conservant une aura d’élégance qui va plus loin que le simple casual-sport. Pensez à Cristalle ou Diorella par exemple. Voilà l’atmosphère à la fois désinvolte, et très très chic même si on veut nous faire croire que ce n’est pas fait exprès.

Matin d’Orage est un jardin mouillé tôt le matin, des feuillages, des agrumes crissant dans une atmosphère chargée d’électricité. Viennent les fleurs de gardénia qui devient peu à peu tubéreuse, timides, pas tout à fait ouverte. C’est la nature, le jardin, le calme annoncé, une sérénité retrouvée. C’est l’un des parfums que je préfère porter lorsqu’il fait très chaud, lourd, pour sa fraîcheur alliée à la sophistication des fleurs blanches. Il est vraiment poétique, il laisse rêveur, contemplatif, mais sans langueur maladive, sans spleen.

Curieusement, c’est un parfum qui déplait facilement : les notes ozoniques qui donne l’effet orageux, électrique, jointes aux notes vertes des feuillages et à l’acidité amère des agrumes peuvent le rendre antipathique. L’eau de parfum qui sort en ce moment corrige le tir et l’amène l’orage vers plus d’amabilité : L’humidité est toujours là, le feuillage aussi mais le gardénia est plus présent et tire nettement plus vers la tubéreuse, en outre de la vanille vient arrondir le tout, tire le parfum du côté de la sensualité. Cette vanille, on ne fait que la deviner, elle ne se remarque presque qu’en portant les deux versions côte à côte. Et la sensualité est toute douceur, c’est le plaisir qu’on prend à se promener nu sous une légère ondée d’été qui rafraîchit après une journée torride. On est chez Annick Goutal, se mettre à quatre pattes sur la moquette, ce n’est pas vraiment le genre de la maison. Ici, on fait dans la subtilité…

L’eau de parfum est dont plus aimable, moins rentre-dedans, moins affirmative. Et je trouve ça un peu dommage. Disons que c’est peut-être plus harmonieux, mais j’aime assez les déséquilibres, les prises de risque, le risque de déplaire avec un énoncé catégorique. Et je me sens si bien dans mon jardin de méditation que je n’ai pas envie que quelqu’un vienne m’y rejoindre. 

Un matin d'orage, Isabelle Doyen et Camille Goutal pour Annick Goutal.