Les parfums américains souffrent d’un discrédit
certain de ce côté de l’Atlantique. Lorsqu’on parle de classique, on s’en tient
religieusement à la litanie Guerlain-Chanel-Dior… en oubliant la maison Lauder.
Pourtant, loin de la référence française fantasmant la sensualité des cocottes,
la grâce des duchesses, revisitant continuellement le mythe de la parisienne,
Estée Lauder a pu imposer un univers cohérent et fort, des parfums intenses,
lisses et sophistiqués, qui tiennent autant du glamour hollywoodien que du
puritanisme WASP ou du chic new yorkais. Oublions un peu notre snobisme et
allons voir dans les bas de rayons ce qui s’y cache, cela vaut d’autant plus la
peine que les Lauder sont souvent beaucoup plus joliment reformulés que
beaucoup de classiques, on n’y sent pas ce souci d’économie qui se cache
parfois derrière l’exigence légale.
Le départ, très vif, agressif, se calme rapidement et
emmène le parfum vers des contrées de feuillages chauffé par le soleil. On est
dans un jardin en été, c’est le sud, pas d’herbe anglaise trop bien arrosée,
mais des feuillage de teintes kakis, verts de gris, nuancés de beiges,
soulignés de fauve, auxquels se mêlent des épices un peu sales et une note
savonneuse qui fait de ce parfum, dont on se dit pourtant qu’il doit être
largement synthétique, un petit chef d’œuvre de naturel : Aliage se fond
sur la peau, bien loin des habituels parfums paysage ou d’ambiance, il ne sent
même pas le parfum, il se fond dans la chair de celui qui le porte,
curieusement sensuel pour un vert. Aliage est un peu râpeux, comme la vie. Il
se balade, crâneur, les mains dans les poches, laissant son charme, unique,
agir.
Pour moi,
il est indissociable des après-midi ou je séchais les cours pour profiter des
beaux jours. Il a l’insouciance de ces longues heures ou on ne voulait rien d’autre
que profiter un peu de la caresse du soleil en allant au parc.
Si le
flacon indique Sport Fragrance, ne vous en préoccupez pas trop, pas besoin de
muscles bandés, de sueur, d’effort et de victoire, Vous pouvez laisser tout
cela aux légions de flankers masculins « sport », pensez plutôt à
Katharine Hepburn, pantalon de toile et chemise blanche, élégante, mais pas
dans le genre mignonne ou charmeuse. Aliage n’est pas destiné aux girly girls,
aux amateurs de mignardises et sucreries. Quand on a autant de personnalité, on
se fiche d’être mignon, on a une vie à vivre.
Aliage,
Estée Lauder, 1972.
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