Avez-vous aussi longtemps tourné autour de certains parfums, ne sachant trop s’il vous les fallait absolument où s’ils n’étaient point votre genre, voire ignorant si vous les aimiez ou les détestiez ? Yatagan fut celui qui me résista, auquel j’ai résisté, le plus. Je ne l’ai pas connu à sa sortie, mais dans les années ’80 et j’ai tourné autour pendant presque quatre décennies. Tout vient à point à qui sait attendre, certes, mais c’est aussi, surtout, un fameux risque que j’ai pris, risque qui témoigne que je suis d’une génération qui ne concevait pas le parfum comme un article de mode, mais comme une histoire sur la durée où l’on pouvait prendre son temps…
Dans l’ombre grandiose de pour un homme, ce Caron masculin a pourtant trouvé sa place, su plaire à un cercle de fidèle, certes plus étroit que celui de son aîné, fasciné par son originalité profonde que ne révèlerait pas nécessairement une liste de note. Voilà qui montre bien l’absurdité de la contemplation des pyramides, une activité qui devrait se limiter au seul voyage en Égypte. Sur papier, Yatagan a tout d’un masculin des années ‘70 et pourtant, il se démarque, se différencie de la production virile, parfois franchement ennuyeuse de l’époque. Certes, il affiche un départ aromatique lavandé, un cœur quelque peu floral et un fond ambré qui pourrait le faire passer pour une fougère, mais avec lui, nulle ambiance savonneuse de salon de barbier.
Les aromates et agrumes du départs sont directement marié à une note épicée, poivrée ?, qui marque que le parfum va assembler les contraires, et surprend par un effet légèrement céleri fort plaisant. (Je ne devrais pas en parler, vous risquez de vous focalisez dessus alors que vous ne l’auriez peut-être pas remarqué.) le cœur floral est à peine présent, on note un peu de géranium qui accompagne une note verte présente dès le départ et qui n’en fini pas de monter et de prendre la place, un peu galbanum, surtout pin, associée au patchouli, créant une ambiance de forêt de résineux, assez sombre sur un fond de mousses, de cuir d’ambre, un fond terriblement animal et sale (qu’on peut donc trouver terriblement sexy dans le genre sombre et ténébreux) qui lorgne vers l’orient, les plaines arides de l’Anatolie.
Le charme du parfum est d’unir les contraires : le propre et le sale, le végétal et l’animal, la nature et une extrême sophistication, car en dépit d’une ambiance de forêt, pas un instant on n’oublie qu’il est question d’un parfum Caron très sophistiqué. Le plus étonnant est que ce parfum qui refuse toute douceur ne soit pas bêtement dur ou brutal ; il semble juste sec. C’est peut-être ce refus de la douceur, de la facilité, qui le démarque, qui le met à part. Surtout aujourd’hui. Encore plus qu’au moment de sa création.
Qu’est-ce qui m’a fait peur chez lui ? M’a tenu à distance, l’a à ce point mis hors de ma zone de confort pourtant assez vaste ? Probablement le fait qu’il est très cultivé, complexe. Si la fluidité du parfum crée une image cohérente et reconnaissable, il est en réalité infiniment changeant, à la fois ou alternativement dérangeant et séduisant. Ce n’est pas un géant comme Kouros dont il annonçait le fond, plutôt un parfum de peau, heureusement. Mais il reste compliqué à porter. J’ai du mal à imaginer que certains hommes l’ont adopté et porté, lui et lui seul, tous les jours de toute leur vie. Mais je trouve cela séduisant en diable ! (Et parfait sur une femme à condition d’éviter les sacs à chaines dorées.)
Yatagan, Vincent Marcello pour Caron, 1976.
Parfum pour lequel j'avais fait des pieds et des mains pour qu'on me l'offre à la fin des années 90, je n'avais alors même pas 20 ans. C'est bien simple, malgré son côté fauve et hyper attrayant, je n'ai jamais vraiment réussi à le dompter car je ne sais jamais avec quoi le porter ni comment le porter, ni même où me parfumer avec (voyez vous, le n°5 dans la nuque est parfait pour ça).
RépondreSupprimerAu final il aura été cet enfant maudit de ma collection, toujours rangé dans sa boîte blanche et rouge à effet cuir, j'ai dû à peine utiliser 1/10è de la contenance totale tant je ne sais pas quoi en faire, c'est dommage me direz vous, ce cuir chaud, presque liquide sans aucune note florale aurait pu me séduire même aujourd'hui, même moi qui aime Gentry Jockey Club, Peau d'Espagne ou l'inénarrable Cabochard....eh bien non, son encens ne me va pas au teint, son musc me frise la moustache et la couleur du jus sensée matcher avec ce côté animal fait "sale".
Ce n'est pas un parfum qui me donne confiance en moi, ce n'est pas un parfum qui me fait me sentir fort, ce n'est pas un parfum qui me parle tout simplement.
...
Ça fait déjà 20 ans qu'il est dans sa boîte, je pense qu'il va y rester les 20 prochaines années !!!!!!
_fabien_
Pour moi aussi, la question « avec quoi le porter? » s’est posée et n’a jamais été vraiment résolue… De la simplicité, de la neutralité (un chino beige, un T-shirt blanc, du denim brut plus ou moins délavé) ou du noir de le tête aux pieds sont ce que j’ai trouvé de plus satisfaisant quoique ce ne soit pas parfait. Il lui faudrait peut-être de la tenue camouflage puisque son nom évoque une arme? Ou alors des turqueries d’opéra, une ambiance ballets russes par Bakst colorée et saturée ?
RépondreSupprimerVu le temps qui m’a été nécessaire, je ne dirai que « patience, il est possible qu’il se donne un jour comme un amant fort longtemps courtisé qui, subitement, sans plus aucune réserve, cède enfin à notre désir et nous offre finalement toutes les voluptés que nous désespérions de connaître. »
Son effet "explosion d'aromates", sa verdeur amère, cette note de céleri très particulière ont fait de lui un parfum clivant. On aime ou on déteste. Il ne ressemble à aucune des fougères plus ou moins cuirées lancées à cette époque qui ont toutes un vague air de famille (malgré des différences flagrantes naturellement). J'ai connu une des premières formulations et il fallait être économe si on ne voulait pas sentir le bouquet garni la première demi heure: S'il est toujours produit c'est qu'il y a des amateurs fidèles.
RépondreSupprimerN’est-ce pas merveilleux qu’il soit toujours là, jamais disparu? Certes il n’est plus tout à fait le même, mais enfin, je ne le trouve pas si défiguré. Pour la note de céléré, que j’aime beaucoup, on la retrouve, très pure, dans le grain de plaisir du Maître Parfumeur et Gantier. Fait amusant, les gens le trouve généralement beau, l’aime et puis quand on leur fait remarquer que « ça sent le célérité » ils ont une réaction de rejet, un peu dégoûté, assez drôle finalement tant ce n’est pas spontané. Comme si le fait de mettre un mot, de rattacher à quelque chose de connu conditionnait l’appréciation et tuait le goût instinctif…
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