à propos de ma fille

 Kim Hye Jin



« Je suis née, j’ai vieilli et j’ai grandis dans ce pays où garder le silence et fermer les yeux est considéré comme le parangon des bonnes manières. »


À Séoul, une fille d’une trentaine d’année revient vivre chez sa mère pour des raisons économique avec sa compagne. La mère est la narratrice et elle n’accepte pas l’homosexualité de sa fille. C’est le nœud du roman, ce rejet du mode de vie, de la compagne, le refus de comprendre, l’ancrage dans les traditions, la peur du regard des autres, le poids de la tradition. Et il y a plus : la précarité, la vieillesse (La mère est aide soignante dans une maison de retraite et si vous envisagez pour vos vieux jours de fuir l’Europe à la suite des scandales dans les ehpad, je vous préviens tout de suite, ce n’est pas la peine d’aller voir du côté de la Corée, ce n’est pas mieux…) 

Ce n’est pas un roman feel-good. C’est sombre, inquiétant, déprimant. Le sujet central, l’homosexualité et son acceptation dans la société coréenne est douloureux, problématique. On oublie à que point c’est encore un problème, voire un tabou, dans de nombreux endroits lorsqu’on vit dans un pays ou tout n’est pas gagné, surtout dans les mentalités mais ou légalement, il y a une protection. Ici, la fille et sa compagne se serait mariées, ou auraient eu la possibilité de le faire, auraient au moins été considérée comme un couple, une famille du point de vue administratif, là-bas, ce n’est pas le cas : la fille, enseignante à l’université doit même manifester parce que des collègues perdent leurs emplois.

Le choix de la mère comme narratrice est vraiment intéressant, il permet d’avoir un regard nuancé, un regard qui n’est pas extérieur, avec les gentils d’un côté et les méchants de l’autre, mais qui montre bien le poids, la pesanteur, des traditions, des mentalités. On est dans la difficile vie de la mère, ses inquiétudes, ses refus avec ce qu’elle a de borné, de fermé mais aussi avec son profond malaise, ses peurs par rapport à sa propre existence, ses difficultés au travail, ses propres révoltes par rapport au système… Et surtout sa volonté de ne pas voir, de ne pas savoir, son envie de se voiler la face pour ne pas affronter la réalité de son enfant.


Le roman est vraiment dur. Déprimant d’une certaine façon parce qu’il tend à nos sociétés un miroir dans lequel on n’a pas envie de regarder parce que ce n’est pas beau à voir. Mais il vaut vraiment la peine d’être affronté pour sa façon de décrire les doutes, les hésitations, la mise à mal des certitudes, tout en nuances et subtilités et en refusant la facilité. (Il eut été tellement plus facile de ^prendre la fille comme narratrice.) On s’attache aux personnages, à chaque personnage, à leurs incompréhensions, à leurs solitudes, on souffre avec eux.

À lire, donc, mais pas le jour où vous êtes sur le point de perdre foi en l’humanité. (Il n'y a pas que les lectures faciles qui sont intéressantes, je vous jure... Allez-y, vous ne regretterez pas!)


« Les beaux moments arrivent toujours trop tôt ou trop tard. Ils passent sans que vous vous en rendiez compte ou se font attendre jusqu’à ce que vous y renonciez. »


Kim Hye Jin, à propos de ma fille, Gallimard, 2022.



Commentaires

  1. Ce livre pourrait tout à fait compléter ma lecture de ce w-e, un autre roman très dur qui montre que la société coréenne n'est pas aussi développée qu'on le croit, encore très traditionnelle et patriarcale: Kim Jiyoung, née en 1982 de Cho Nam-Joo. Merci pour le conseil !

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    1. (un billet paraîtra sur mon blog un de ces jours)

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    2. Ah oui, je l'ai lu et j'avais... Moyennement aimé. Il m'avait semblé plus intéressant pour le fond que par ses qualités littéraire. (Et quand on parle de livre, c'est quand même un peu important.)

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