parfums de printemps

 

Les années qui passent ont beau n’apporter que deuils et regrets, nous laissant toujours un peu plus amers et meurtris, elles ne peuvent rien à l’affaire : le printemps est ma saison préférée.  Chaque année, pendant deux ou trois mois, je me transforme en midinette sentimentale, délirant d’optimisme sans aucune autre raison que le vert tendre des premières feuilles, les rose et jaunes des premières fleurs et cette merveilleuse lumière froide des beaux jours qui reviennent. Même le ciel gris perle d’un printemps pluvieux me semble infiniment plus beau que la golden hour d’un automne radieux. Et pourtant, je vous accorde bien volontiers que cette année, c’est difficile, qu’il faut s’abriter derrière une voilette suffisamment épaisse pour survivre à la morosité sans avoir envie d’agoniser avant la fin de la journée. (Ce serait le moment de vous parler de ma passion pour les dramas sentimentaux en costumes, mais je vous épargne ça, ce billet va être suffisamment mièvre comme ça.) 


Chaque année, au printemps, je ne me parfume plus tout-à-fait comme d’habitude non plus. Je tourne avec deux ou trois parfums, m’adonnant presqu’à la monogamie et ne changeant que sous la pression sociale. (Les perfumistas sont terribles, vous savez, ils vous reniflent et vous jugent sans cesse.)  Je ne peux pas prétendre porter des chefs d’œuvre impérissables, des pièces maîtresses du patrimoine et je n’en ai cure. Je suis en mode feel good et je ne porte que des parfums ravissants qui me font me sentir bien, de l’optimisme et de la lumière en flacon, de la jeunesse et de la joie. (Jeunesse est un terme très relatif, je parle de ma jeunesse aux alentours de 1900, pas des x, y, z et autres fins d’alphabet absolument déprimantes.) 

Delphine Seyrig dans peau d'âne



L’avantage des réseaux sociaux, c’est une certaine forme d’oubli rapide, d’archivage automatique dans les limbes. Alors qu’un blog donne beaucoup plus vite l’impression qu’on se répète, qu’on tourne en rond… Dans le fond, je m’en fiche. Je suis bien prêt à radoter si ça permet à certains jolis parfums de ne pas sombrer dans l’oubli. Je laisse bien volontiers à d’autre la nouveauté, l’exclusivité, la rareté et l’actualité. La fée des lilas en moi est bien trop snob pour ce genre de considérations d’une infinie vulgarité. (Tuez-moi tout de suite plutôt que venir me parler de mode. Ça, c’est dit.) 


Paris (Sophia Grojsman pour Yves Saint Laurent, 1983)est probablement l’un des parfums auxquels je suis le plus fidèle. Même si ce n’est pas celui que je porte le plus, c’est celui aux charmes duquel je succombe le plus régulièrement depuis sa sortie en 1983.Il n’est pas fait pour moi, j’ai du mal avec la rose, mais il est si ravissant que je ne peux m’empêcher de sourire lorsque je le sens et de l’aimer infiniment. Des aldéhydes lui donnent un certain chic madame d’une époque où l’on pensait que l’élégance était importante, des violettes joyeuses et lumineuses, des roses fraîches pour une note un peu lipstick qui se marie à la poudre de l’iris et à la crème du santal. 

Le parfum est très cosmétique, d’une coquetterie rosée de fard. C’est léger et frivole. Des notes d’aubépine, de mimosa et de muscs viennent encore l’arrondir pour lui donner du confort et faire de lui une petite boule de confort frivole. C’est ravissant et joyeux, pas très sérieux. Le parfum n’est pas artistique, il est sentimental, il n’est pas parisien il est très petite bourgeoise provinciale. Pire, sous ses épaulettes, il est le parfum de l’aspirante bourgeoise par excellence, celui de la petite secrétaire qui rêve d’épouser le patron. (Penser à la Marlène de la saison 2 des petits meurtres d’Agatha Christie.) C’est un roman de Sagan (plus que le pompeux Chamade de Guerlain !) lu par une femme qui croit que la couleur rose lui portera chance en plus de lui donner bonne mine, c’est la naïveté assumée de celles et ceux qui ont eu le cœur brisé mais veulent encore y croire. 



Quelques fleurs, l’original, d’Houbigant (Robert Bienaimé) se vante d’être plus que centenaire (1912), d’avoir ouvert la voie au bouquets abstrait… Certes. Pourquoi pas. Mais c’est surtout le témoin d’une époque. Peu importe les reformulations, il garde un côté désuet, rétro, absolument charmant. Le bouquet est rosé, offre des nuances lilas et blanche après un départ un peu vert. C’est tendre et pastel, ça sent « le parfum » tel que l’imaginait les petites filles avant la mode du bonbon. 

C’est démodé, dépassé et merveilleusement vieilli. Quelques fleurs sent le printemps, les 120 printemps d’une femme qui est toujours gracieuse, belle et dont on se dit qu’elle a été beaucoup aimée à l’abris de ses ombrelles de dentelles blanches. (Ce qui n'est pas la plus mauvaise façon de vieillir.) 

Ce bouquet romantique, à peine laqué, un peu poudré est un costume d’époque retrouvé dans une malle au grenier qu’on enfile pour rêver, pas pour se déguiser. (Comme le dit Lady Gaga « don’t be a drag, just be a queen!)

Yoon Bak dans birthcare center


Composé par Jacque Guerlain en 1906, après l’ondée est le plus artistement poétique de la sélection. Sa forme ancienne était une merveille bouleversante. Il évoquait le sous-bois humide, l’odeur de la nature après la pluie, c’était d’une infinie mélancolie, d’une absolue nostalgie. Les restrictions ont conduit à sa reformulation et en un sens, il a beaucoup perdu. Je suis content de l’avoir connu, aimé et porté avant. 

Pourtant, je ne regrette absolument pas la reformulation. L’Art y a perdu, sans doute, mais… Après l’ondée est plus facile à porter, plus joyeux, plus optimiste et enfin fidèle à son nom. Il pourrait presque s’appeler « après la pluie, le beau temps » aujourd’hui et c’est loin de me déplaire. C’est un bouquet de violettes timides, des nuances d’iris bleutée, transparentes dans un contexte de végétation humide. Le sous-bois est présent, proche, mais nous ne marchons plus dans l’ombre. Après l’ondée est lumineux, confiant et plein d’espoir. (Ce qui explique la timidité du parfum, quand on évoque l’espoir, il vaut mieux ne pas insister lourdement, ce serait de mauvais goût et nous ferait facilement passer pour un imbécile heureux. Ce qu’après l’ondée n’est pas. Tout en finesse, il ne prétend pas jouer les intellectuels qui ont tout compris, mais c’est néanmoins un parfum intelligent dans sa subtilité.) 

J'espère sincèrement que le printemps vous plaît autant qu'à moi. (Même si vous avez tout à fait le droit d'être moins niais.) Dites-moi...


Commentaires

  1. J'aime beaucoup le printemps aussi, mais encore plus l'été. J'ai fait une tentative de passage à un autre parfum, mais je sens qu'il n'est pas encore temps pour moi d'abandonner Kyoto (Diptyque) que j'aime d'amour depuis que je l'ai acheté tout à fait par hasard à l'aéroport en octobre.

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    1. Ah, non, l'été, je commence à bloquer... Déjà la lumière est plus dorée et puis il fait (parfois) chaud... Pour ce qui est de changer de parfum, il ne faut surtout pas se forcer, la vie est trop courte pour ne pas se faire plaisir quand on peut!

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  2. Je n'y vois là aucune niaiserie, simplement rassurée qu'il existe encore des esprits qui ne sont ni blasés, ni "suiveurs". J'irais bien refaire un tour...
    La mode, qui veut plaire à tous, uniquement par esprit mercantile, je n'en veux pas... Le printemps est bien froid cette année, des jonquilles aux derniers lilas... J'attends le temps du muguet, même si je ne porterai jamais ce parfum, trop entêtant, il sait si bien se faire pardonner le muguet, mutin, câlin, il annonce la rose de juin...
    Bon samedi-dimanche ! Gabrielle Dlr.

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    1. Ah, le muguet... C'est un peu pareil pour moi, je l'aime mais je ne le porte quasiment pas, ou très peu, deux jour par an au maximum et presque par "obligation" (oui, être obligé de sentir beau, j'exagère un tout petit peu la pénibilité de la chose et l'aspect obligatoire.) mais je triche pour avoir le plaisir sans les inconvénients...

      à bientôt

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  3. Bonjour Dominique. Quel plaisir de retrouver un billet dédié au printemps et aux parfums !
    Pour ma part j'aime toutes les saisons sans exception : elles ont chacune leurs charmes.
    Après les encens , les ambrés, les parfums capiteux de l'hiver c'est maintenant que j'ai envie de légèreté, de fleurs, de violettes , d'iris ...
    Bon week-end

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    1. Ah mais aimer toutes les saisons est peut-être un peu plus facile dans le sud ou l'hiver est moins pénible. Ici, nous sommes privé de la verdure (mis à part les sapins)et passons des semaines complètes presque dans l'obscurité totale quand la météo est au gris. En plus il y a la boue, la perspective de se casser une jambe sur la neige ou de passer à travers le pare-brise suite à un accident de voiture causé par le verglas qui va ruiner tous mes effort pour conserver la jeunesse éternelle de mon visage en me défigurant... (Oui, je suis une vraie drama queen!)

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