N°5, biographie.

lundi lecture

n°5, Chanel
Un livre sur le N°5, on se précipite. Ou pas. On a le droit d’hésiter. Est-ce qu’on ne sait déjà pas tout ? N’est-ce pas un énième ouvrage de complaisance ? Marie -Dominique Lelièvre s’attaque au mythe avec une belle franchise et sans peur. L’ouvrage est historique, bien documenté et fort plaisant à lire. Bien écrit, il se dévore comme un roman dont on connaît un peu la fin mais dont on aime les péripéties. Bien sûr, le lecteur qui a déjà beaucoup lu les biographie de Chanel, risque d’en apprendre un peu moins, mais la synthèse est excellente et fort complète.

On reparle des origines, du Bouquet de Catherine qui deviendra Rallet N°1 et serait l’original du N°5. Ernest Beaux devient soudain un personnage moins séduisant, voire inquiétant. De lui, j’avoue, je ne connaissais quasiment rien en dehors des liens avec la Russie. Des Wertheimer, pas grand choses non plus, si ce n’est qu’ils étaient juifs. Forcément, l’auteure nous parle en long et en large de l’antisémitisme de Chanel, de son comportement durant l’occupation pour s’approprier ce parfum qu’elle avait cédé un peu vite. Je dois dire que j’ai apprécier la position de Marie-Dominique Lelièvre qui condamne et relativise en même temps : elle prend le temps de nuancer et de remettre dans le contexte. Il y a avant, pendant et après la guerre. Est-ce que Gabrielle en sort grandie ? Non. C’est la partie la moins intéressante, dans la mesure où elle est déjà beaucoup abordée dans les biographies récentes, mais c’est probablement là que je l’ai trouvée la plus claire, la plus passionnante et la mieux écrite.

Et puis, il y a l’Amérique, Kitty d’Alessio, Catherine Deneuve, Jacques Helleu et les premières tentatives de rajeunissement et, l'arrivée de Karl Lagerfeld, fort peu sympathique et qu’on ne regrette pas, Jacques Polge et sont fils… (décidément, ce sont des dynasties qui travaillent chez Chanel !) Un fils qu’on n’étrille pas mais sur lequel le regard jeté est critique, égratigne tout en lui laissant la possibilité de faire ses preuves, parce qu’on ne sait pas encore tout. (Principe d’historien : ne pas juger avant la fin !) 

Parce que le N°5 n’est plus vraiment le N°5, que les gens n’en sont pas dupes même si c’est une chose que l’on n’ose dire trop ouvertement. Et puis surtout, il y a un regard sur le luxe actuel selon Chanel, désabusé, lassé, déçu parce qu’il faut bien appeler la vulgarité actuelle de la marque qui drague lourdement le touriste à grand renfort de logos.  Reste peut-être le flacon d’extrait de N°5 ?

Le seule regret que je pourrais avoir c’est qu’on ne parle pas, ou fort peu, des changement d’odeur du N°5 qu’après 30 ans de fréquentation je ne reconnais plus vraiment quelle que soit la concentration. Propre, il l’est toujours mais il n’est plus riche, il a perdu son éclat. Mais c’est une autre histoire. Qui cependant explique peut-être aussi pourquoi il n’est plus en tête des ventes. (Parce que, peut-être en effet, la politique du flanker n’est pas la meilleure ?)

En tous cas, c’est un livre à lire, à glisser au pied du sapin comme cadeau de Noël pour tous les perfumistas, de tous les fans de Chanel, même si la lecture désenchante un peu. 

Marie-Dominique Lelièvre, le N° de Chanel, biographie non autorisée, Stock, 2019.

Commentaires

  1. Pour moi, une lecture inutile, d'autant qu'il est de bon ton actuellement d'appuyer sur le pseudo antisémitisme de Mademoiselle ! Un peu facile et racoleur à mon sens. Les Wertheimer lui ont pris un max et lui ont laissé quelques "restes" le Ritz, histoire de garder le mythe. Elle s'est défendue avec son franc parler, à l'heure du politiquement correct c'est très mal vu !
    Qu'il ne soit plus ce qu'il était ne m'étonne pas. Plus rien n'est plus de ce qui a été. Guerlain produit la "petit robe noire" créée par Chanel, tous les flacons sont... roses, plats, comme l'époque à la pensée unique et aseptisée dans laquelle nous vivons.
    Cassez, démolissez ! Mais saurez vous construire autre chose ?

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    1. La petite robe noire n'est pas une invention de Chanel. Au XIXème siècle, il y avait déjà une mode du noir et , justement, Proust parle d'une aristocrate toujours en noir parce que c'est toujours chic bien avant la "robe Ford" La mison Chanel réécrit beaucoup l'histoire pour attribuer tous les mérites à la créatrice alors que non. On peut comprendre, elle même était une menteuse enragée et lire les différentes versions des mémoires qu'elle a commandé est franchement amusant.

      L'anti-sémitisme n'est pas le cœur de l'ouvrage. L'auteure trouve aussi que la paysanne âpre au gain a été vraiment peu visionnaire quand elle a signé son contrat. Pour les amateurs de parfum (mais ça intéresse moins les fans de Chanel) le plus intéressant, c'est l'histoire d'Ernest Beaux, de la maison Rallet, de Coty et la façon dont le mythe a été entretenu avant d'être détrôné puisqu'aujourd'hui le N°5 ne se porte plus aussi bien. (La faute à la gestion?)

      Rien n'est cassé ou démoli. Et Dieu merci, oui, on sait construire d'autres choses sans être empêtré dans de vieilles histoires et sans compter sur une seule maison. Dieu merci!

      Par contre je dois bien vous dire que votre avis n'est pas très pertinent puisque vous n'avez pas lu le livre. Comment jugé s'il est utile ou non dans ce cas?

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    2. Effectivement, si je n’ai pas lu le livre, mon avis n’est pas objectif, mais si je ne veux pas lire ce livre c’est que je n’aime pas le genre « fouiller dans les placards ».
      J’ai lu beaucoup de livres sur Mademoiselle, Edmonde Charles-Roux, Paul Moran… Je pense que ce livre ne m’apportera rien de plus…
      J’ai vraiment été en admiration devant une femme en avance sur son temps, différente, qui voulait être indépendante. C’est vrai qu’elle fabulait beaucoup, certains mêmes affirment qu’elle n’a jamais été à Aubazine, que les 2C entrelacés n’est pas de sa création, Marlène Dietrich a revendiqué la chaussure à bout noir… Cette femme a beaucoup souffert, et de ses souffrances sont sortis des trésors ! C’est une résiliente dirions nous aujourd’hui.
      Une « petite paysanne âpre au gain  » c’est bien méprisant, elle a aussi été très généreuse. Si elle a été mauvaise gestionnaire, c’est qu’on ne peut pas avoir tous les talents, et elle a été beaucoup critiquée, avant de revenir sur le devant de la scène avec beaucoup de travail et de volonté, c’était une grande travailleuse, reconnue d’abord aux États-Unis, là où le travail a une valeur, contrairement en France où il vaut mieux être bien né, même si on est un imbécile, il y a toujours une place au soleil. L’ancien régime n’est pas mort.
      Pour les mêmes raisons, nous avons été privé d’Arlety, cette grande dame qui n’a pas eu la chance de passer entre les gouttes, encore que d’autres aient étés tondues, bien souvent par des résistants de la dernière heure… Quelle sombre époque !
      Proust parle d’une femme portant du noir. D’une femme, qui se distinguait de cette manière, mais à cette époque, seulement les domestiques étaient en noir et blanc. Encore aujourd’hui, à la cour d’Angleterre, on ne porte pas de noir, si ce n’est les jours de deuil. Les femmes d’aujourd’hui le porte sans importance.
      Quant au N°5, je l’ai porté au début des années 80, mais je n’y reviendrais pas, c’était une période de travail, avec des relations difficiles, il était comme une armure. En plus si vous nous dites qu’il n’est plus ce qu’il était, alors…
      Tout ceci sans vouloir vous contrarier…

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    3. N'ayany pas mes ouvrages sur la mode sous la main je vais citer une source peu fiable (wikipédia) "C'est sous l'Empire que le noir commence à s'imposer dans la bourgeoisie" Non, une femme ne se distingue pas en portant du noir, elle porte du noir parce que c'est distingué, ce n'est pas du tout pareil.

      Le livre de Paul Morand n'est pas un livre sur Chanel, c'est un livre dicté par Chanel et ça n'a pas grand chose à voir, il n'a rien d'une source fiable. Je lui préfère nettement ceux d'Edmonde Charles-Roux, qui n'était pas dupe et fut l'une des première à relever la mythomanie de Gabrielle qui changeait de versions au fil du temps, racontait tout et son contraire, en tachant de comprendre pourquoi. Paysanne, travailleuse, c'est Chanel elle-même qui se décrivait de la sorte. âpre au gain, oui, elle l'était mais pas du tout bonne gestionnaire. Elle n'était pas une femme d'affaire avisée. JE ne peux pas trop laisser critiquer les Wertheimer qui l'ont considérablement soutenue, nottament pour sont retour dans les années '50 qui était un gros risque. Le bon sens conseillait de vendre des flacons de N°5 sans laisser une femme de 70 ans qui était alors ringarde rouvrir une maison et nuire à l'image du parfum. Ils ont misé sur elle, ils ont eu raison en dépit de l'accueil glacial de la presse française de l'époque. Les premières collection n'ont pas été des succès.

      L'ancien régime et les dynasties, c'est assez typiquement Chanel, justement, et c'est bien quelque chose que l'auteure relève: la présencede gens qui sont présent dans la société de père en fils comme les Helleu par exemple ou les Polges pour le parfum... Chez Chanel, on aime travailler en famille et on adore les noms à particules. Mademoiselle adorait faire travailler les nobles.

      Non, je ne conseille pas de revenir au N°5, c'est toujours un beau parfum, plaisant à porter, mais difficilement reconnaissable pour qui l'a porté dans les années '80. L'eau de toilette n'a aucune tenue, quasiment pas de sillage, L'eau de parfum est très musquée de blanc, très proprette, l'extrait est un magnifique jasmin qui manque d'aldéhydes et de civette, bref, c'est fort triste pour qui a connu une plus grande époque.

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