odeur

« Les murs humides et anciens de l’entrée, où je restais à attendre Françoise, dégageait une fraîche odeur de renfermé qui m’allégeant aussitôt des soucis que venaient de faire naître en moi les paroles de Swann reportées par Gilberte, me pénétra d’un plaisir non pas de la même espèce que les autres, lesquels nous laissent instables, incapables de les retenir, de les posséder, mais au contraire d’un plaisir consistant auquel je pouvait m’étayer, délicieux, paisible, riche d’une vérité durable et certaine. »

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, du côté de chez Swann, 1913.

De façon surprenante, le nouveau Gucci, c’est le parfum que tout le monde aime ou a envie d’aimer. Surprenante? Certes, depuis le départ de Tom Ford, la parfumerie selon Gucci n’était plus très intéressante, mais il y avait quand même eu un très joli Gucci Bloom en 2017, une jolie tubéreuse qui n’aurait pas déparé une maison de niche: bien faite, classique et portable, une vraie belle surprise dans le paysage olfactif dont nous n’avons scandaleusement pas assez parlé. Moi en premier. Il est vrai qu’une tubéreuse de plus n’est pas un événement lorsqu’on a facilement accès à la niche… (Pas bon blogueur, c’est mal! J’aurais dû en parler parce qu’elle est vraiment TRES aimable!)

Mémoire d’une odeur continue à aller voir du côté de la niche pour proposer quelque chose de différent au plus large public possible. Des testeurs lambda auxquels je l’ai fait sentir on eu ce mot « ça ne sent pas comme tout ce qu’on sent maintenant! » Tout est dit. Et il figure déjà sur des wishlists cadeaux de Noël. Effectivement, Mémoire s’en va voir du côté des odeurs et ambiances un peu conceptuelles, comme l’a fait il y a bien longtemps de façon pointue Comme des garçons et comme le fait de façon plus racoleuse Maison Martin Margiela avec sa série Replica, plus accessible et parfois carrément facile. Alberto Morillas joue les équilibristes et offre un parfum entre les deux, sans facilité ni pose arty.

Mémoire d’une odeur évoque pour moi les vieux murs humides, quand très vite vient l’odeur de l’infusion à la camomille. (Oui, il y a un coté très proustien dans cette camomille servie dans de vielles pierres.) Peu à peu, on découvre le spectre d’un chypre. Le parfum évoque le chypre classique, facette par facette, mais de façon très désincarnée. Certain trouveront que ça manque trop de chair parce que c’est ce qu’on aime dans le chypre, d’autre se réjouiront de voir le genre revivre avec beaucoup de facettes et une transparence qui le rend plus moderne en l’allégeant sans le lisser. C’est un parfum poétique et habité, mais par un fantôme, un souvenir. Le nom « Mémoire » est très bien trouvé. Je ne sais pas qui a collé à quoi, mais la rencontre est très juste.

Est-ce que j’aime ce parfum? Est-ce que j’ai envie de le porter? Je ne sais pas, il est un peu tôt pour le dire et il bouscule un peu mes habitudes d’amateur de vieilleries. Mais le simple fait que je me pose la question est une bonne chose. Je le sentirai volontiers sur d’autres en tous cas. Et j’ai très envie de vous dire d’aller le sentir, il le faut, pas si vous avez l’occasion, mais en prenant d’urgence un rendez-vous dans une parfumerie, parce qu’il est unique et vraiment nouveau! (Même si j’y trouve des réminiscences d’autres parfums, mais le simple fait d’exploiter la camomille qui est si rare en parfumerie et n’a jamais le premier rôle vaut le détour.) D’autant que ce n’est pas sa seule qualité, Alberto Morillas maîtrise la technique et signe un parfum parfaitement fluide qui évolue très naturellement, sans saccade et sans heurt. (Et Dieu sait que c’est parfois le cas et que je trouve pénible ces parfums sans fondu qui font martèlent chaque changement de note.) On notera aussi le refus de la marque de faire entrer ce parfum dans une classification genrée.

Mémoire d’une odeur,Alberto Morillas pour Gucci, 2019.