cocktail

"Une des alliances inattendues, que m’apprit M. de Guermantes, était une mésalliance, mais non sans charmes, car, unissant sous la monarchie de juillet, le duc de Guermantes et le duc de Fezensac aux deux ravissantes filles d’un illustre navigateur elle donnait ainsi aux deux duchesses le piquant imprévu d’une grâce exotiquement bourgeoise, louisphilippement indienne."

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, le côté de Guermantes, 1920.

Lors du lancement des aqua allegoria, j’étais un peu agacé par la prétention de Jean-Paul Guerlain qui parlait de variation autour des plus belles matières premières et gna gna gna. Même si je trouvais certaines choses fort jolies comme le Rosa Magnifica dont on dit qu’il était signé par Mathilde Laurent. C’est peut-être pour ça que je n’ai jamais vraiment suivi cette collection. À moins que le côté éphémère des lancements ne m’ait pas donné le courage de m’intéresser à des choses que je n’aurais pu aimer que le temps d’un été. (Le charmes des amours de vacances, non merci !)

J’ai reçu un flacon de Limon Verde et j’admets que j’en suis ravi. D’autant que c’est une très bonne idée le citron en automne, parce que, oui, il y a une vie en dehors du chypre, pour ceux qui rêvent de faire durer encore un peu l’été et de partir en weekend au soleil. Mais le citron, c’est un peu un piège: pas de tenue et un risque d’acidité qui peut évoquer le nettoyant ménager. Chez Guerlain, il y a déjà une Eau de Fleurs de Cédrat, qui ne tient certes qu’une demi-heure dans le meilleur des cas, mais c’est une demi-heure de pur bonheur (par opposition aux heures/jours de souffrances des bois ambrés type Citron Noir d'Hermès.) et la recette du citron façon tarte meringuée. (Que j’aime un peu moins, voire pas du tout.)

Limon Verde est une nouvelle jolie option, qui n’a rien de révolutionnaire, mais qui sait innover gentiment. À vrai dire, le parfum est un citron-figue, plus qu’un citron. Passée la première bouffée très limonade, la figue supporte le citron, le sucrant à peine, lui apportant un peu de douceur et surtout des nuances vertes qui prétendait évoquer le Brésil. Pour le Brésil, je ne sais pas trop. À priori, le Batucada de l’Artisan Parfumeur réussissait mieux, mais ce qui est certain, c’est qu’on sirote un cocktail exotique dans le décor d’un resort de luxe sous les tropiques. (Et laissez-moi vous dire que j’ai vraiment besoin de vacances dans un hôtel de luxe sous les tropiques. Vraiment, vraiment beaucoup. Même si ce serait très compliqué parce que j’aurais des crises d’angoisses à l’idée d’être exposé aux rayons du soleil et que c’est très mauvais pour moi, donc finalement, juste un flacon de parfum et un peu d’imagination, c’est probablement mieux.) à la limite, si limon verde rappelle un autre parfum, c’est plus du côté du Ninféo Moi d’Annick Goutal qu’il faut aller chercher : notes vertes, figues et citron mais, ici, l’orchestration est toute différente: tropicale !

La tenue est plus que correcte, le dosage est parfait, c’est un cocktail qui rend joyeux sans vous donner la migraine. Il ne va pas changer l’avenir de la parfumerie et c’est tant mieux dans une époque où toute révolution semble être une atteinte au bon goût. 

Limon verde, aqua allegoria, Thierry Wasser pour Guerlain, 2014.