perles et poils

“sous cet azur, une brise légère mais froide faisait trembler légèrement les bouquets rougissants.”

Marcel Proust, à la recherche du temps Perdu, Sodome et Gomorrhe, 1922.

Le N°19 semble être toujours resté dans l’ombre du solaire N°5 qui semble à lui seul mériter les efforts de la maison Chanel, pourtant, il a son public d’irréductibles fidèles qui l’aiment, le préfèrent. Pour moi, sa pâleur lunaire l’associe aux perles… (Il faut dire aussi que Mademoiselle était à la fin de sa vie et que sa couture n’était plus vraiment au goût du jour. Sa maison vivait bien, mais de ses clientes bourgeoise et conservatrices, elle n’incarnait plus vraiment la modernité.)

Le N°19 joue le galbanum et les notes vertes, fraîches, légèrement aldéhydées et l’iris. C’est probablement l’un des plus jolis iris de la parfumerie, rafraîchi en sourdine par le jacinthe, touché d’un peu de rose, il est un peu poudré, un peu savonneux, évoquant le blanc et restant toujours du côté froid du spectre. Pourtant réduire le 19 à un iris verdi est une erreur. Son feuillage vaut par lui-même, est présent tout le long de l’évolution, passant de la froideur brillante des feuilles brillante de pluie à une atmosphère plus enveloppante et chaude de foret ou l’on sent racines, mousses et bois, ainsi qu’une note cuirée dans certaines versions anciennes. 

Le vintage d’eau de toilette sur lequel j’ai réussi à mettre ma blanche main m’a rappelé de bons souvenirs, j’ai beaucoup porté le N°19 jadis, et m’a aussi un peu surpris, j’y ai senti très nettement le vétiver, dès le départ, un vétiver qui se faisait plus discret et puis reparaissait. Cette note pousse le parfum vers la parfumerie masculine traditionnelle. Il y a du poil sous ces perles. C’est très Chanel, dans la mode, elle avait adoré voler des éléments masculins pour les intégrer au vestiaire féminin. C’est très moderne aussi, ce mépris des genres. Mais ce n'est pas une androgynie asexuée, plutôt une ambiguïté, un mélange des genre, une troublante superposition des codes qui brouille les piste et dérange.

Le N°19 traîne une vilaine réputation de dureté et de frigidité. Il est vrai que sa beauté, passablement austère, peut sembler froide. Mais une partie du problème vient surtout du fait qu’il est plus un parfum intellectuel, un parfum dont la beauté parle à l’intelligence, qu’un parfum sensuel ou sentimental. Et vous aurez beau lire « Intelligence is the new sexy » sur les réseaux sociaux, la photo qui aura le plus de likes est celle des nichons au balcon. L’intelligence séduit peu, elle n’est pas populaire. Peut-être le N°19 n’est-il pas destiné à être populaire mais à tirer vers le haut, impérieux et catégorique comme savait l’être Mademoiselle.

D’autant qu’il a le luxe discret et raffiné. Sa richesse, ce n’est pas la surenchère et la surdose de matière, mais de belles matières, très travaillées, ajustée. Il présente un luxe, moins évident, plus difficile à comprendre, à appréhender. Exactement comme il est plus difficile de réaliser qu’une robe de coton est bien cousue alors qu’on remarque directement un affreux logo… Y a-t-il un luxe sans élégance ? N°19 dit non.

Ce parfum adore de toute façon dire non. Bien sûr je l’aime à la folie, mais c’est parce que je n’ai pas peur d’être antipathique. Et que j’adore dire non.

Mais vous vous demandez peut-être ce qu’il en est de la version actuelle ?  Le N°19 a bien changé, on s’en rend compte en portant les deux versions. (Une pour les jours impairs, l’autre pour les jours pairs.) Il ne reste plus qu’un axe vert-iris, très beau, savonneux, un peu cologne par moments, mais nettement moins charpenté, et moins équilibré. Le fond bascule dans le propre, un peu lessiviel. C’est joli, élégant et plus moderne mais terriblement moins intéressant. Je crois qu’à choisir, à cette version, devenue un peu trop « bonne ménagère », je préfère l’un des descendant du N°19. L’infusion d’iris signée Daniela Andrier pour Prada est plus surprenante, plus intelligente. Propre et poudrée, certes, mais plus proche de l’esprit original du parfum et elle aussi plus luxueuse dans sa construction que dans ses matières.

N°19, Henri Robert pour Chanel, 1971.



Commentaires

  1. Oh sexy selfie�� je porte le numéro 19 comme je porterai un pull marine, il est sous ma main, classique je n'ai pas de question à me poser, je ne connais pas l'ancienne version, je ne le porte que depuis une dizaine d'années, je trouve que silence de Giacomo est très proche de ce galbanum là... Untitled de maison Martin Margiela lui est moins precieux que le 19.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci!
      Oui, pour Silences, je suis tout à fait d'accord, mais Silences est plus tendu, plus mince, plus cinglant. Untitled, je l'aime bien aussi, c'est un autre genre, mais c'est très réussi. Et c'est encore signé par Daniela Andrier dont j'aime définitivement beaucoup le travail. (Pour moi, celui-là est vraiment un parfum d'hiver!)

      Supprimer

Enregistrer un commentaire