trouble '80

« C’est ainsi, faisant halte, les yeux brillant sous son “polo” que je la revois encore maintenant silhouettée sur l’écran qui lui fait, au fond, la mer, et séparée de moi par un espace transparent et azuré, le temps écoulé depuis lors, première image, toute mince, dans mon souvenir, désirée, poursuivie, puis oubliée, puis retrouvée, d’un visage que j’ai souvent projeté dans le passé… »

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, à l’ombre des jeunes filles en fleurs, 1919.

Récemment, je regardais Stranger Things à la télévision, une série fantastique sympathique qui mets en scène des adolescents et que j’aime parce qu’elle se déroule dans les années ’80, la période où j’étais, moi, adolescent. La façon dont la décennie est évoquée est assez fine : on nous épargne les excès qui datent trop et tombent dans la caricature (Dieu sait pourtant que la période était caricaturale au point de vue des looks !) pour recréer une ambiance de façon assez subtile avec des voitures aux lignes anguleuses, une chambre de jeunes fille avec poster de Tom Cruise en jeune premier portant la veste en jeans, des cassettes pour écouter de la musique, etc. Evidemment, je me suis demandé « Mais quel parfum porter pour regarder Stranger Things?»

La réponse s’est imposée d’elle-même, basée sur mes souvenirs : Anaïs-Anaïs. C’était LE parfum que l’on sentait le plus dans les collèges et les lycées durant toute cette décennie, un succès incontesté. Un succès marketing, ce qui me donne l’occasion de dire du bien du marketing, qui réussit parfois de bien belles choses. Lorsque l’Oréal a décidé de lancer un parfum Cacharel, tout a été calibré. La senteur, un joli lys, vert, réchauffé par un peu de fleur d’oranger, des épices,  posé sur du vétiver. Un peu cosmétique, plus romantique de salon que nature, c’était une odeur, pas trop capiteuse au premier abord, que les parents jugeaient acceptable pour les jeunes filles. Le flacon d’opaline à étiquette fleurie et la campagne photo de Sarah Moon étaient parfaitement cohérents, très seventies sous influence hippie. Même le prix, contrairement à Opium qui se positionnait luxe en étant plus cher, calculé pour être 30% sous les prix moyens en faisait un parfum qui avait tous les airs du luxe mais qui pouvait convenir à de modestes jeunes filles auxquelles la prétention d’un jus trop connoté couture n’aurait pas convenu. Après tout, Cacharel, c’était du prêt-à-porter, n’est-ce pas…

Très vite Anaïs-Anaïs a été un immense succès. Un succès marketing, une vraie belle réussite qui, bien que calibrée, savait faire rêver. On le sentait sur toutes les filles, sages, rebelles, romantiques, sportives ou chics. Il décorait joliment les chambres, posé sur le bureau à côté du journal intime, cette relique d’avant le temps de la vie privée étalée sur le net, d’Autant en emporte le vent en format poche et d’un bouquet de fleurs séchées. J’avoue qu’aujourd’hui encore, ses notes me troublent et m’émeuvent. Pour le souvenir. Et aussi par nostalgie d’une époque où on savait proposer de jolies choses aux jeunes filles, ou l’on pensait qu’il fallait leur parler délicatement, poétiquement, pour leur plaire. Et bien sûr sous l’air innocent, il y avait autre chose que mettait bien en valeur les visuels de Sarah Moon, quelques chose de troublant et sensuel, de l’ordre du non-dit, entre ces jeunes filles en fleurs, trop proches l’une de l’autre…

Anaïs-Anaïs, Paul Léger, Raymond Chaillan, Robert Gonnon et Roger Pellegrino pour Cacharel, 1978.

Commentaires

  1. My first adolescent love used to send me Anais perfumed letters.. The intensity of young love, what memories.

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  2. Bon après-midi Dau,
    Anaïs c'est maintenant que je me rends compte que c'est un parfum très bien construit, extraordinaire, à l'époque je l'aimais, je le portais, et c'était tout.
    A très bientôt!
    Sara

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    1. Bonjour Sara,
      Oui, il était marketé, mais c'était vraiment bien fait! C'était bien ce temps-là... C'était mieux!
      à bientôt

      Dau

      PS: je lis la robe de marié.

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  3. Bonjour,

    J'aime votre photo : Anaïs Anaïs et Scarlett O'Hara... Mais serait-ce le parfum idéal pour cette fougueuse héroïne? Je lui suggérerais peut-être Opium et le Feu d'Issey... Un moyen de garder enfin Rhett Butler auprès d'elle?

    Ce roman et ce parfum sont aussi des symboles pour moi... Lu et porté dans les années 80... Anaïs m'a été offert lors de mon premier voyage en France, par mon père, qui nous a quitté cet automne. Je voudrais raconter que nous l'avons acheté ensemble dans une petite parfumerie parisienne, mais en fait, il me l'a offert au Duty Free de l'aéroport d'Orly, car j'étais fauchée! Moins romantique, mais j'ai été fort heureuse de porter ce merveilleux parfums qui a enchanté mon été... 1989!

    Plus tard, dans les années 90, mon père m'a surpris en me rapportant de France des parfums aussi différents que Deci-Delà de Nina Ricci et Miss Arpel de Van Cleef & Arpel! Je les ai toujours et je les porte avec parcimonie, car leur fin approche et qu'ils sont maintenant introuvables à des prix décents... De beaux souvenirs olfactifs!

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    1. Bonjour Sophie,
      Pour répondre à la question "quel parfum pour Scarlett?" Je dirais Anaïs-Anaïs au début du roman parce que sa mama ne veut pas lui laisser porter quelque chose qui n'est pas convenable pour une jeune fille. Mais bien sûr Scarlett rêve de porter d'autre chose comme le Madame Rochas ou Calèche de sa mère, elle veut ce qui ne lui va pas du tout (comme Ashley... En parfums, ça donnerait peut-être des floraux romantiques?) et finit peut-être en Joy, le parfum le plus cher histoire de l'assortir à sa monstrueuse bague de fiançailles à énorme diamant pour faire enrager toute la ville...

      Anaïs en duty free, c'est un peu moins poétique, mais c'est bien dans le style du parfum. Et puis, l'achat avant un vol long courrier, ça fait quand même un peu rêver aussi, je trouve! tout ça fait de très beaux (et de très forts) souvenirs. Bien plus que quand on s'achète ses parfums soi-même. On a perdu ce côté cadeaux précieux que les parfums avaient, il son devenu des objets d'une grande banalités qu'on s'offre en 30 secondes sans y penser et c'est bien dommage. C'était bon et beau de prendre son temps, de penser que quelqu'un qui voulait vous faire un cadeau avait pris son temps et réfléchit. Maintenant, on écoute la publicité ambulante, la vendeuse quoi, et on prend le truc avec le plus gros budget com, c'est moins joli...

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